Le désir dans l'ombre
La chambre obscure (2000) de Marie-Christine Questerbert avec Caroline Ducey, Melvil Poupaud, Mathieu Demy, Sylvie Testud, Jackie Berroyer, Luis Rego. (Editions Blaq Out)
De Marie-Christine Questerbert, je me souvenais avoir lu un ouvrage sur les scénaristes italiens et de ses prestations de comédienne chez Luc Moullet (notamment dans Anatomie d’un rapport, où elle tient le rôle principal aux côtés du cinéaste). Mais je n’avais jamais vu La chambre obscure, premier (et, sauf erreur, unique à ce jour) long-métrage qu’elle a réalisé.
Pour être tout à fait honnête, je dois commencer par dire qu’il est très difficile pour moi de critiquer ce film.
D’une part parce qu’il fait preuve d’une louable ambition et qu’il possède d’indéniables qualités d’autre part. Pourtant, le résultat m’a laissé insatisfait et ne m’a pas entièrement convaincu. Peut-être parce qu’au-delà des « bons » et « mauvais » films, il y a également les films qui sont faits pour moi (qu’importe leurs défauts, je jubile toujours à la découverte d’un Russ Meyer) et d’autres pas (je reconnais toutes les qualités qu’on veut au Guépard de Visconti mais ce n’est absolument pas un film pour moi !). La chambre obscure fait peut-être partie de cette deuxième catégorie…
Passé ce préambule un brin alambiqué, reprenons depuis le début.
Le film de Marie-Christine Questerbert est une adaptation d’un conte de Boccace et narre les aventures de la jeune Aliénor (Caroline Ducey) qui parvient à soigner et sauver le roi de France. En échange, celui-ci lui offre un mari. La jeune femme jette son dévolu sur le comte de Roussillon (Melvil Poupaud) qu’elle aime depuis l’enfance. Mais celui-ci se dérobe à elle et s’enfuit en refusant de consommer le mariage…
Je n’entre pas dans le détail des péripéties qui vont suivre et des stratagèmes qu’Aliénor va mettre en place pour susciter le désir de son époux. D’une certaine manière, La chambre obscure illustre assez bien la « théorie des essuie-glaces » édictée dans La frontière de l’aube de Garrel : ce mouvement « parallèle » du désir qui veut que lorsqu’un être en aime un autre, ce dernier recule et se dérobe à son désir et vice-versa.
L’action du film se déroulant au 14ème siècle, la cinéaste fait le pari de la stylisation en s’inspirant des enluminures d’époque. On songe alors aux grands modèles du genre, que ce soit le Perceval le Gallois de Rohmer (que j’aime beaucoup) ou le Lancelot du lac de Bresson (que je déteste). La direction artistique du projet est impeccable : les décors et costumes sont chatoyants et la distribution irréprochable : on retrouve avec plaisir la gracieuse Caroline Ducey (qu’on avait tant aimé dans Romance de Catherine Breillat) et les ténébreux Demy et Poupaud s’en sortent très bien. Idem pour les seconds rôles où l’on retrouve des habitués de la comédie (Berroyer, Rego) qui se révèlent ici très convaincants dans un film d’époque et l’indispensable Jean-Christophe Bouvet, meilleur acteur au monde selon Skorecki.
Marie-Christine Questerbert parvient également à éviter le côté décoratif et académique qui menace souvent ce genre de projet : l’assurance du cadre et la propreté du montage permettent à sa mise en scène d’être sans bavure. Et pourtant, quelque chose ne fonctionne pas. Peut-être parce qu’on sent derrière ladite mise en scène trop d’application et que cela fige totalement les plans dans une raideur qui finit par lasser. La cinéaste s’est peut-être montrée trop timide et reste dans un entre-deux tiède, sans vraiment oser la stylisation extrême d’un Rohmer (qui respectait la versification de Chrétien de Troyes) ou l’outrance de la farce.
De la même manière, tout ce qui a trait au désir, aux « revendications féministes » paraît un peu trop souligné et je dirais qu’il y a quelque chose de « scolaire » dans cette Chambre obscure manquant un peu de fièvre, de vie et de cette paillardise chère à Boccace dont Pasolini avait su extraire la sève dans son Decameron. A ce propos, je me demande si la durée du film (1h 45) ne joue pas non plus en défaveur de Questerbert : il aurait fallu quelque chose de plus cinglant, de plus rythmé et je suis persuadé que le film aurait fait un excellent court-métrage ou un bon segment du Decameron.
Sur la durée, tout cela perd un peu de sa saveur et laisse au final le souvenir d’un film ambitieux mais pas totalement réussi…