Rebecca (1940) d'Alfred Hitchcock avec Joan Fontaine, Laurence Olivier, George Sanders

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Lorsqu'il débarque aux États-Unis, Hitchcock doit tourner sa version de Titanic. Mais le projet tombe à l'eau (si j'ose dire!) et le célèbre producteur David O. Selznick lui propose une adaptation d'un roman de Daphné du Maurier : Rebecca. Ce premier film américain du cinéaste obtiendra l'Oscar du meilleur film mais son auteur n'en était pourtant pas satisfait. A Truffaut, il déclare :

 

« Ce n'est pas un film d'Hitchcock. C'est une sorte de conte et l'histoire elle-même appartient à la fin du XIXe siècle. C'est une histoire assez vieux jeu, assez démodée. Il y a avait beaucoup de femmes écrivains à cette époque : je n'y suis pas hostile, mais Rebecca est une histoire qui manque d'humour. »

 

Pourtant, je dirais avec une pointe de provocation que c'est la partie la plus « hitchcockienne » du film (la fin) est celle qui me paraît la plus faible dans Rebecca, œuvre singulière où le cinéaste reste encore très attaché à ses racines britanniques (le film se déroule en Cournouailles).

 

Une jeune femme de compagnie (Joan Fontaine) épouse un beau jour un Lord (Laurence Olivier) inconsolable depuis le décès de son épouse Rebecca. Dans la grande demeure de Manderley, la jeune femme fait connaissance avec Madame Danvers, austère gouvernante toujours attachée au souvenir de son ancienne patronne...

 

Davantage que la dimension policière de ce récit (Rebecca est morte dans des conditions mystérieuses qui finiront par être élucidées), c'est son atmosphère qui séduit immédiatement. Hitchcock s'abandonne avec délice au charme d'un cinéma gothique envoûtant. Il fait de ce château de Manderley un personnage à part entière et travaille avec un certain génie les ombres, les contrastes à la manière des expressionnistes.

Je n'avais jamais vu ce film mais je connaissais la séquence où Joan Fontaine pénètre dans la chambre de la défunte épouse puisqu'elle était présentée dans l'exposition qui s'est tenue au printemps au musée d'Orsay : L'ange du bizarre : le romantisme noir de Goya à Max Ernst. Et peu de séquences peuvent, en effet, représenter plus parfaitement ce romantisme morbide où le fantôme de la morte semble flotter entre les murs. C'est sans doute la plus belle séquence du film : l'arrivée dans la vaste chambre, les rideaux flottant au gré du vent, l'apparition terrifiante de la gouvernante, l'expressionnisme exacerbé des plans... Tout est parfait et fascinant. Comme le dit lui-même Hitchcock, nous sommes dans l'univers du conte noir et l'on songe ici à la chambre de Barbe-Bleue.

 

Rétrospectivement, Rebecca est aussi intéressant dans la mesure où le film représente une sorte de double inversé de Vertigo. Dans les deux cas, le personnage masculin est fasciné par l'image d'une femme morte. Mais alors que Scottie tentera par tous les moyens de redonner vie à Madeleine, Maxime de Winter tente, de son côté, d'oublier cette femme qui le hante et lui gâche la vie. Passionnante est également l'étrange relation qui se noue entre la nouvelle madame de Winter et l'étrange gouvernante. Celle-ci peut déjà apparaître comme un précurseur de ces « mères » castratrices qu'affectionnera Hitchcock. Il explique d'ailleurs à Truffaut comment il est parvenu à « déshumaniser » ce personnage en la faisant apparaître toujours brusquement et, surtout, immobile. C'est une silhouette qui surgit sans qu'on s'y attende et qui provoque une certaine angoisse.

 

La dimension gothique et le romantisme noir sont les aspects les plus réussis du film. Après, il faut bien reconnaître qu'il n'est pas dépourvu de quelques défauts. Côté interprétation, j'aime beaucoup Joan Fontaine, fragile, gracieuse et passionnée mais Laurence Olivier se révèle être un peu terne et il est même carrément éclipsé lorsque surgit le génial George Sanders, toujours aussi cynique et sournois.

 

Sur la fin, Hitchcock renoue avec une intrigue policière (comment est morte Rebecca) et son conte revient alors dans des sentiers plus convenus et balisés. Ce n'est pas désagréable mais ça n'a plus la force évocatrice des deux premiers tiers du film. Le fait que Rebecca dure plus de deux heures joue peut-être aussi défavorablement sur cette dernière partie que j'ai trouvé un peu longue.

Enfin, dernier petit défaut : une musique envahissante qui surligne un peu trop les effets.

 

Mais encore une fois, ces quelques petits défauts ne ternissent pas l'éclat de cette œuvre assez singulière dans l’œuvre d'Hitchcock (beaucoup plus romanesque et passionnée que la plupart de celles qui viendront) et qu'on reverra sans doute avec beaucoup de plaisir...

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