Le parc enchanté de Tinto Brass
Tra(sgre)dire (2000) de Tinto Brass avec Yuliya Mayarchuk
Rendons grâce aux chaînes câblées qui nous permettent de découvrir les dernières œuvres du maestro Tinto Brass qui ne semblent plus du tout attirer les distributeurs de ce côté des Alpes. D’un autre côté, je suis un peu embêté car j’ai l’impression d’un peu radoter lorsqu’il s’agit d’évoquer (ce n’est pas la première fois : voir ici, ici, ici encore ici et là) l’auteur de Caligula et La clé.
Tra(sgre)dire, (titre qui joue à la fois sur le mot « trahir » et « transgresser ») fait partie, au même titre que L’uomo che guarda et Fermo posta per Tinto Brass des œuvres tardives de notre érotomane préféré. Et il ne s’agit pas, hélas, d’un de ses meilleurs films (loin s’en faut !)
Comme souvent chez Brass, le scénario est indigent et à peine digne des bluettes imaginées par, au choix, Barbara Cartland ou Marc Levy. Une jeune italienne a quitté son pays pour Londres et cherche un appartement pour accueillir son petit ami. Fatiguée des crises de jalousie de ce dernier (et de son absence), la belle ira se consoler dans les bras d’une plantureuse agent immobilier…
Les histoires inventées par le cinéaste n’ont jamais brillé par leur originalité mais elles étaient, la plupart du temps, transcendées par une mise en scène baroque et inventive qu’on peine à retrouver ici. Le montage très « cut » du film le rapproche davantage de l’esthétique du clip ou de la publicité plutôt que des hilarants cartoons d’un Russ Meyer.
A cela, il faut ajouter un doublage exécrable qui plombe littéralement le film. Nous en discutions il y a quelques temps avec l'ami Vincent à propos des films interprétés par sa chère Edwige Fenech : même la plus médiocre des comédies imaginables (et c’est peu dire que certaines le furent !) se révèle toujours moins « pire » lorsqu’on la voit en italien. Le français semble décupler la vulgarité bon enfant de ces films et finit par devenir insoutenable. J’ai eu ce sentiment hier soir en découvrant cette version doublée.
Pourtant, le résultat parvient à ne pas être trop désagréable et le voyeurisme forcené du cinéaste n’y est sans doute pas pour rien. A ce titre, la scène d’ouverture dans un parc est emblématique de tout le cinéma de Brass. L’héroïne traverse ce lieu en débardeur et petite jupe transparents qui ne laissent aucun doute sur l’absence patente de sous-vêtements (voilà un beau moyen d’affirmer sa féminité que je ne saurais trop conseiller aux initiatrices de la « journée de la jupe »). Elle y croise des courageuses qui font du jogging en maillot de bain (précisons que toutes les femmes du film s’habille en taille « 12 ans », rendant parfois difficile la dissimulation de certaines parties de leurs anatomies), des lectrices assises dans l’herbe qui croisent et décroisent ostensiblement les jambes (Sharon Stone et son timide jeu de jambes peut aller se rhabiller !) ou encore des couples qui batifolent. Ce parc féerique symbolise à merveille l’univers de Tinto Brass : un lieu où l’on ne s’adonne qu’à l’Art et à l’Amour en éludant sciemment tout ce qui fait insulte à la condition humaine : le travail, le suffrage universel, la gueule d’Hortefeux et celle de Zemmour, les « cellules d’aide psychologique », les DRH, les journalistes et les agents de la SNCF !
J’ai pensé aux mots de la grande Annie Le Brun lorsqu’elle prend la défense, dans Du trop de réalité, du cinéma porno (quoi ! Une femme qui défend ça ! Que font les chiennes de garde et Les inrocks? ) :
« Si peu élaborés soient-ils, leurs chemins mènent pourtant toujours à la rêverie qui n’a pas fini de s’ouvrir en porte dérobée pour déserter le réel. Et c’est d’être aussi heureusement déplacé que ce monde des publications et des films X court le long du nôtre, tel son double enjoué où aucune autre fin que sexuelle n’est envisageable pour quelque situation que ce soit. Comme les enfants gourmands imaginent un monde de maisons en chocolat et de rues en nougatine où tout se lèche, se suce et se mange, le « porno » est un de ces mondes merveilleux où la réalisation du désir devance sa formulation. ».
Précisons que la limite du « porno » n’est pas franchie dans Tra(sgre)dire mais que la définition « d’enfant gourmand » convient fort bien à Tinto Brass qui imagine des cours de faculté avec une ribambelle d’étudiantes provocantes ou des soirées où les convives présentent leurs derrières aux yeux de tous. Sa caméra est toujours aussi avide de filmer sous toutes leurs coutures les anatomies splendides de ses actrices. Même si certaines séquences dépassent parfois les frontières du ridicule (notamment à cause des gueules ahuries des bellâtres qu’il choisit systématiquement et qui semblent toujours sortir d’un calendrier des « dieux du stade ». Je crois qu’il n’existe pas de personnages moins charismatiques – à part peut-être quelques coureurs cyclistes- que ces balèzes bas du front et au regard bovin peuplant toujours les (derniers) films de Brass !), on se laisse bercer par ses fantasmagories qui font du cinéaste un véritable « Fellini de l’érotisme ».
Tinto Brass a opté définitivement pour l’Amour et l’Art. Et même si en fait d’art, il s’agit plutôt du cochon, nous lui en saurons toujours gré…