Le rat des villes et le rat méchant
Tom à la ferme (2013) de et avec Xavier Dolan
Je me suis donc décidé à aller voir mon « premier » Xavier Dolan, petit phénomène de mode qui a déjà signé 5 longs-métrages (le dernier sera présenté à Cannes en mai prochain) alors qu'il vient tout juste d'avoir 25 ans. J'avoue pour ma part n'avoir jamais été attiré par cette nouvelle coqueluche de la critique et des festivals. Il faudra sans doute que je surmonte mes appréhensions et que je découvre un jour Les amours imaginaires ou Laurence Anyways mais j'avoue qu'une partie de moi fuit toujours les icônes branchées d'aujourd'hui.
Une fois n'est pas coutume, c'est la bande-annonce de Tom à la ferme qui m'a donné envie de découvrir le film : belle utilisation du Scope et sens de l'espace, atmosphère mystérieuse et angoisse diffuse... Et finalement, le film est presque décevant par rapport à ce premier sentiment.
Publicitaire branché de Montréal, Tom (Xavier Dolan himself) se rend dans une campagne profonde pour assister aux funérailles de son petit ami. Sur place, il fait la connaissance de la mère du défunt mais également de son frère, brute épaisse qui le menace pour le dissuader de faire des révélations sur la nature de ses relations avec le disparu.
Reconnaissons à Xavier Dolan un talent certain. Certaines séquences, comme cette course-poursuite dans un champ de céréale, sont très réussies. De la même manière, il fait preuve d'un vrai sens de l'espace qui nous fait même regretter qu'il n'ait pas eu l'idée de réaliser un road-movie tant les scènes au bord de la route sont magnifiques.
Un des aspects les plus réussis de Tom à la ferme est également une atmosphère oppressante et claustrophobe qui rappelle parfois, toutes proportions gardées, les meilleurs films de Polanski (Cul-de-sac). Francis, le frère brutal de Tom, est toujours au bord de l'explosion et entraîne le jeune homme dans une relation à la lisière du sadomasochisme avec, parfois, des trouées vers le grotesque (la scène de tango). Une relation trouble se dessine entre les deux hommes : la haine et la peur de Tom se mêlent à une espèce de désir craintif. Dolan semble vouloir filmer une nouvelle manifestation du « syndrome de Stockholm » où la victime s'attache à son bourreau.
Le thème est intéressant mais, et c'est là que le bât blesse, il aurait fallu que cette relation soit plus incarnée, plus « crédible ». Quand Almodovar aborde ce thème dans son très beau Attache-moi, une passion véritablement physique finit par lier Victoria Abril et Antonio Banderas. La violence, comme le désir, sont figurés d'une manière très charnelle à l'écran. Chez Dolan, tout paraît un peu théorique. J'avoue que j'ai un peu de mal à croire à cette soumission de Tom à Francis tant elle paraît relever d'une cour de collège où le matamore malmène l'enfant plus faible et différent. Qu'est-ce qui empêche Tom de se barrer immédiatement lorsqu'il voit la situation se dégrader ? Le fait de ne pas adhérer du tout à cette relation ambiguë entre les deux hommes fait que le film tombe assez rapidement comme un soufflé. Dolan possède quand même le talent pour parvenir à relancer parfois les enjeux de son film en suscitant un peu d'intérêt (l'arrivée de Sarah, la fausse petite amie du défunt, la scène de bar où le patron lève un voile sur le passé de Francis...). Malgré tout, on se dit que le film peine à traiter réellement ce qui devrait être son thème principal.
De la même manière, Dolan n'échappe pas à un certain nombre de clichés et à la caricature. On retrouve une fois de plus cette opposition binaire entre le type « raffiné » et branché de la ville et les brutes épaisses de la ruralité profonde (Tom traite Francis de « redneck » et d'un « consanguin » qui sera traduit par les sous-titres en « paysan »!), incapables d'admettre une sexualité différente. De la même manière, le personnage de Francis est vraiment trop chargé pour qu'on puisse croire une seconde que Tom puisse s'y attacher. Vulgaire, beauf, violent, machiste... tout y passe !
Le problème de Dolan, c'est qu'il cherche à traiter un thème intéressant (l'obligation, dans certains cas, pour les homosexuels de mentir afin d'avoir la paix et de pouvoir aimer tranquillement) mais qu'il ne parvient pas à aller au-delà du théorique. Il aurait fallu que quelque chose vibre, s'incarne dans ces relations entre les individus. Or le « hors-champ » est quasiment inexistant (le défunt n'a, finalement, que peu d'importance et, symptomatiquement, dès que l'on pense qu'un personnage est « absent », il apparaît soudainement dans le cadre -la mère pendant le tango, par exemple-), les personnages restent assez désincarnés et seuls quelques instants laissent présager ce que le film aurait pu être (la crise de la mère qui pose soudainement plein de questions Sarah en réalisant que quelque chose cloche).
Tom à la ferme n'est pas, à proprement parler, un film raté. Il possède d'indéniables qualités mais il est également plombé par un discours qui ne parvient pas à se fondre dans la mise en scène. Les « bonnes intentions » n'ont jamais fait de grands films...