Saint Laurent (2014) de Bertrand Bonello avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Louis Garrel, Léa Seydoux, Dominique Sanda, Valeria Bruni Tedeschi.

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Avec L'Apollonide, Bertrand Bonello était parvenu à une sorte de perfection formelle en filmant un monde clos (celui d'un bordel à la toute fin du 19ème siècle) et ouaté. Mais le style envoûtant et opiacé du film ne faisait jamais d'ombre à un certain sens du romanesque (les références à Hugo) et à un propos passionnant sur un monde en train de s'effondrer.

Lorsque débute Saint Laurent, on a le sentiment que le cinéaste veut reprendre les choses là où il les avait laissées avec L'Apollonide : le portrait d'un créateur de mode hors-pair, symbole même d'un certain artisanat transcendé par le style mais également d'un monde en train de basculer.

Après un prologue intriguant situé en 1974, le film remonte le temps jusqu'en 1967, moment où Yves Saint Laurent devient la star que l'on connaît. Le début du film est très séduisant. D'une part parce que Bonello est un remarquable metteur en scène (je n'apprendrai rien à personne!) et qu'il parvient à retrouver l'élégance de son film précédent : mouvements de caméra amples et souples, atmosphère irréelle et éthérée (les très belles scènes en boite de nuit), une certaine langueur envoûtante... D'autre part, le cinéaste semble renouer avec le propos de L'Apollonide : le passage d'un monde à un autre, le paradoxe du « moderne » épris d'une certaine idée de la beauté en train de disparaître avec cette modernité... Le propos est parfois souligné de manière un peu insistante avec cette lettre de Warhol où l'artiste évoque les questions de la notoriété et de la reconnaissance qui se substituent désormais à celles de l'art et de la beauté (d'où le goût de Warhol pour les publicités et la mode).

Avec Saint Laurent, le cinéaste semble vouloir évoquer la question du créateur prit en tenaille entre un certain artisanat, un penchant pour le style et la beauté et le rouleau compresseur de l'industrie. Autoportrait de Bonello ? Sans doute un peu et c'est sans doute pour cela que le cinéaste apparaît lui-même en journaliste à la fin du film pour expliquer pourquoi il aimait Saint Laurent (scène ratée car trop explicative).

Le problème, c'est qu'après un début très brillant (disons la première heure), le cinéaste va devoir composer avec les codes d'un genre assez sclérosé : le « biopic ». Qu'est-ce que Bonello fait des histoires de cœur de Saint Laurent (avec Pierre Bergé, bien entendu, incarné par un Jérémie Renier méconnaissable), de ses « troubles » (l'alcool, la défonce...), de sa destinée ? Et c'est là que le bât blesse. Assez rapidement, la virtuosité du cinéaste tourne à vide et il se laisse gagner par une certaine imagerie du « biopic ». A un moment donné, il évoque par le biais d'un dialogue entre Yves Saint Laurent et un mannequin le cinéma de Kenneth Anger. Or Bonello emprunte une voie radicalement différente de celle de ce cinéma de « visions » qu'il vise parfois. Quelque chose se fige chez lui et il ne reste de son récit qu'une coquille vide, où ne brillent ni le feu de la passion, ni l'intensité de la tragédie.

 

A l'inverse de L'Apollonide, c'est le sens du romanesque qui manque à Saint Laurent : la fascination que provoque la première partie du film cède le pas à un ennui assez profond (le film dure 2h30 et semble vraiment interminable). Bien sûr, on peut souligner la qualité de la performance de Gaspard Ulliel mais il a une diction à la Finkielkraut assez rédhibitoire ! Le problème du film est peut-être qu'il est à l'image de son personnage : totalement superficiel. Mais peut-être que ces réticences viennent de moi et que j'ai moins de mal à m'identifier et à être touché par des prostituées de 1900 que par une grande folle mondaine !

 

Reste un film assez stylé dans sa première partie mais qui se poursuit ensuite par une succession de saynètes relevant davantage de la vignette que d'un véritable projet de cinéma. Cette fascination pour une époque où tout semblait possible (l'art, la révolution, la jeunesse éternelle, les paradis artificiels...) ne fonctionne que par intermittence (notamment grâce à une très belle bande-son qui rapproche Bach et le Velvet Underground).

Pour le reste, on ne dépasse guère le stade d'un certain esthétisme « arty » qui me donne envie de reprendre les mots d'un critique des Cahiers du cinéma évoquant Pulp fiction à l'époque : « trop d'émail, pas assez de pulpe » !

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