Légende bretonne
Si j’avais 1000 ans (1983) de Monique Enckell avec Daniel Olbrychski, Jean Bouise, Marie Dubois, Dominique Pinon (Editions Artus)
Rengaine connue : le genre fantastique s’accommode mal de l’esprit cartésien qui règne en nos francophones contrées et l’on peut compter sur les doigts d’une main les cinéastes ayant tenté de développer régulièrement un univers fantastique en France (Franju en premier lieu).
Au cours des années 80, on va voir éclore quelques rares essais pour enrayer cette malédiction. La plupart de ces tentatives se soldèrent par de cuisants échecs (Terminus de Pierre William Glenn) et qui se souvient encore aujourd’hui du cinéma de l’ineffable René Manzor (Le passage, 36-15 code père Noël) ?
L’histoire de Si j’avais 1000 ans est assez curieuse. Alors qu’elle n’avait à son actif qu’un court-métrage avec Rufus (Aller-retour, qu’on peut voir en bonus du film), la jeune réalisatrice Monique Enckell écrit un scénario de film fantastique basé sur une légende celte. Dans un petit village isolé sur une île, une malédiction plane depuis 1000 ans : parce qu’ils ont refusé de livrer au seigneur une jeune femme enceinte condamnée à mort, les villageois vivent depuis des siècles dans la terreur de chevaliers revenant toujours au moment de la Toussaint et pour provoquer la mort par noyade d’une fille du lieu.
Ce scénario obtient un prix à Avoriaz et tout s’enchaîne : Monique Enckell parvient à obtenir une brochette d’acteurs solides (nous en reparlerons) et c’est Allan Stivell qui compose la bande originale. Puis c’est la catastrophe : le producteur fait faillite et le film ne sortira jamais sur les écrans. Pour la cinéaste, il s’agira de son premier et dernier film.
En ayant tous ces éléments en tête, c’est peu dire qu’on est alléché à l’idée de découvrir cette rareté absolue exhumée par les bons soins d’Artus films.
Mais puisque c’est mon devoir d’être honnête, il faut tout de suite avouer que le résultat n’est pas très bon.
Ce qui ne fonctionne absolument pas, ce sont les personnages de ce film dont on se contrefiche très rapidement. A peine soutenus par une mise en scène lymphatique et des dialogues creux, les acteurs ne parviennent pas à les faire exister, à leur donner un semblant de chair. Pourtant, je le disais plus haut, Monique Enckell a bénéficié de l’appui d’acteurs renommés. Mais il se trouve que Daniel Olrbrychski (un des acteurs fétiches de Wajda) se révèle assez mal à l’aise (est-ce un problème de langue ?) tandis que notre chère Marie Dubois ne fait ici que de la luxueuse figuration. Dominique Pinon était alors un tout jeune acteur et il est assez moyen, hésitant encore entre la gouaille qui fera sa renommée et une approche plus psychologique du rôle qui ne lui va pas très bien. Seul Jean Bouise reste égal à lui-même, à savoir impérial (mais là encore, son rôle est relativement limité).
Pour être plus nuancé, je dirais que toutes les scènes en intérieur sont sans le moindre intérêt, d’autant plus que la photo est très sombre et qu’il me semble que le point est à peine fait à certain moment.
En revanche, Monique Enckell manifeste un véritable talent lorsqu’elle filme en extérieur. Bien servie par les paysages bretons plongés dans la brume de novembre, elle nous offre quelques plans d’ensemble très beaux. Il y a parfois dans Si j’avais 1000 ans un côté qui rappelle les bons moments de Jean Rollin (j’ai pensé aux Démoniaques), notamment lorsqu’on voit ces cimetières engloutis par le brouillard ou cette mystérieuse femme en robe blanche marchant sur la plage. Ce sont ces extérieurs qui parviennent, de temps en temps, à donner un peu de corps et de mystère à cette légende.
Ils sont malheureusement un peu dilués dans un récit mollasson ou manque cette passion du cinéma et de la « vision » qui permet à quelqu’un comme Jean Rollin de transcender le manque manifeste de moyen et les défaillances de ses comédiens.
C’est dommage car la tentative était belle mais elle est ratée, même si Monique Enckell ne mérite aucun lazzi et qu’on regrette sincèrement qu’elle n’ait pas eu d’autres occasions de pouvoir s’exprimer par le biais du cinéma…