Les amants diaboliques
Le spectre du docteur Hichcock (1963) de Riccardo Freda avec Barbara Steele, Peter Baldwin (Editions Artus)
C’est la rentrée et voilà que les excellentes éditions Artus nous proposent une salve de nouveautés alléchantes. Contrairement à ce que pourraient laisser supposer les apparences, Le spectre du docteur Hichcock n’est pas qu’un film « bis » de plus mais une véritable petite pépite du cinéma fantastique transalpin, au même titre que Le masque du démon de Mario Bava ou Danse macabre de Margheriti.
Réalisateur éclectique bien connu des amateurs de cinéma populaire (on lui doit aussi bien Maciste en enfer que L’évadé du bagne, une adaptation des Misérables d’Hugo) ; Riccardo Freda s’est parfois essayé (sans doute trop peu !) au genre fantastique. On lui doit notamment Les vampires, dont la date de sortie (1957) est concomitante du début du fameux cycle vampirique de la Hammer en Angleterre, et Catilki, le monstre immortel.
En 1962, il réalise (déjà avec Barbara Steele) L’effroyable secret du Docteur Hichcock qui va connaître un succès assez inattendu et permettre, du coup, de donner naissance à une sorte de « suite » qui sort l’année suivante.
Barbara Steele incarne toujours la femme du Docteur Hichcock mais cherche, avec la complicité de son amant, à s’en débarrasser pour faire main basse sur sa fortune. Par un habile stratagème, le médecin amoureux de la perfide épouse parvient à tuer l’encombrant mari. Sauf que le docteur Hichcock n’a pas dit son dernier mot et que son spectre revient hanter les amants diaboliques…
Ce qui séduit d’abord dans le film de Freda, c’est l’habileté d’un scénario qui ne ménage ni les surprises, ni les rebondissements imprévus. Il est impossible d’en dire plus ici pour ne pas gâcher la surprise des éventuels spectateurs de ce film mais l’élément fantastique est parfaitement intégré à une machination de type policier diaboliquement construite.
Ensuite, c’est le style de Freda qui fait la différence. Dans un premier temps, il s’inscrit totalement dans la tradition de ce cinéma « gothique » que sauront remettre à l’honneur des gens comme Bava, Fisher ou Corman. Le cinéaste ne lésine pas sur le décorum et les effets classiques du genre : demeure somptueuse aux pièces surchargées en meubles et bibelots divers, crânes, caves inquiétantes, orages sinistres qui font claquer les portes et bouger les lustres… On pourrait sourire face à ces conventions qui confinent au cliché mais Freda parvient, grâce à son style volontiers baroque (nous allons y revenir), à créer une atmosphère oppressante et inquiétante. Car outre le décor, le cinéaste se délecte à peindre une galerie de personnages aussi abjects les uns que les autres. Des amants criminels à l’inquiétante gouvernante (incarnée par Harriet Medin), tous les individus qui se croisent et « s’affrontent » dans ce lieu clos possèdent leur part d’ombre et apparaissent, à un moment ou un autre, dans leur noirceur.
Pour créer cette atmosphère, Freda affine un style volontiers baroque qui passe par des angles insolites de prises de vue (beaucoup de contre-plongée) et un jeu sur les couleurs qui rappelle le cinéma de Mario Bava (rappelons que ce dernier a été le chef opérateur de Freda sur Les vampire et Catilki). Les filtres colorés rouges ou bleus confèrent à l’œuvre une dimension expressionniste qui se révèle parfois assez terrifiante : l’incroyable scène où Barbara Steele lacère « X » (je laisse planer le suspense) à coup de rasoir est d’une violence absolument stupéfiante, surtout si l’on songe à l’époque à laquelle elle a été tournée.
Là encore, ce meurtre à l’arme blanche annonce, d’une certaine manière, les débordements sanglants et « coloristes » des « gialli » de Dario Argento.
Nous sommes dans un cinéma sans beaucoup de moyens mais qui fait de sa « pauvreté » une force en multipliant les inventions visuelles. Pour le coup, il faut dire aussi que Freda est parfaitement épaulé par l’icône Barbara Steele qui est ici, une fois de plus extraordinaire. Sa beauté vénéneuse, ses yeux démesurés en font encore une espèce de sorcière inquiétante, toujours guettée par la folie. La voir raser son mari et marquer soudainement un temps d’arrêt suffit à terroriser le spectateur même si, pour le coup (le cou ?), il ne se passera rien. Avec elle, Freda a trouvé (comme Bava et Margheriti avant lui) une interprète idéale pour ses délires gothiques et baroques et réussit avec Le spectre du docteur Hichcock l’un de ses meilleurs films (affirmation sans doute un peu rapide dans la mesure où je n’ai vu que très peu d’œuvres du cinéaste).
NB : En bonus, une présentation passionnante de l’œuvre fantastique de Freda par l’indispensable Alain Petit qui revient également sur la carrière des comédiens du Spectre du docteur Hichcock (excepté celle de Barbara Steele, déjà évoquée dans un supplément d’un autre film).