Adorables créatures (1952) de Christian-Jaque avec Daniel Gélin, Danielle Darrieux, Martine Carol, Edwige Feuillère, Louis Seigner, France Roche. Editions L.C.J. Sortie le 6 janvier 2014


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Je dois bien admettre que je suis toujours confronté à un dilemme lorsque je découvre le cinéma français d’avant la nouvelle-vague. D’un côté, je suis très curieux parce que je le connais finalement assez mal (mis à part les grands noms que tout le monde apprécie : Renoir, Becker, Clouzot, Bresson, etc.). De l’autre, je dois aussi reconnaître que je ne cultive pas un grand goût pour ce cinéma du « samedi soir » des années 50 et que si le cinéma s’était limité à des noms comme Christian-Jaque ou Henri Decoin, je me serais sans doute passionné pour un autre art !

 

Attention, je ne suis pas en train de dire qu’Adorables créatures est un film sans intérêt qui mérite d’être balayé d’un revers de main méprisant. Il s’agit d’une comédie boulevardière plutôt bien écrite (Charles Spaak au scénario), un peu trop théâtrale à mon sens (le dialogue l’emporte sur l’écriture cinématographique), un peu trop longue et totalement désuète. Mais paradoxalement, c’est le côté « vieillot » de l’entreprise qui fait son charme aujourd’hui.

On imagine volontiers le public du début des années 50 se précipiter dans les salles pour admirer les vedettes qui défilent chacune à leur tour dans ce film construit comme une succession de trois sketches circonscrits entre une introduction et une conclusion mettant en scène une quatrième jeune femme. On imagine aussi les adolescents de cette époque attendant impatiemment le moment où la grande star Martine Carol finira par montrer furtivement ses seins. Elle le fait ici en prenant un bain et, à la faveur d’un joli clair-obscur, elle ira même jusqu’à dévoiler son charmant postérieur.

 

Que les gardiens des bonnes mœurs se rassurent : cet érotisme antédiluvien reste très limité et si le propos est relativement licencieux (tous ces braves gens ne pensent qu’au sexe et pratiquent allégrement l’adultère), les images restent toujours pudiques, à l’exemple de cette caméra qui quitte discrètement la chambre à coucher des amants pour aller se poser sur un tourne-disque et permettre de substituer aux ébats les plus torrides un intermède musical beaucoup plus conforme aux convenances de l’époque.

 

Adorables créatures narre les (més)aventures d’un jeune homme (Daniel Gélin), séducteur falot, et ses déboires avec la gente féminine. Dans un premier temps, il est l’amant d’une femme mariée (D.Darrieux) qui refuse de quitter son foyer pour s’abandonner à cet amour. Il rencontre ensuite une manipulatrice de première classe (Martine Carol) qui ne s’intéresse qu’à l’argent et se sert de lui pour approcher un homme plus riche. Enfin, il devient l’amant d’une richissime bourgeoise (Edwige Feuillère) dont l’habitude est de s’enticher d’artistes désargentés et de jouer les mécènes. Toutes ces aventures sont commentées par une voix-off (Claude Dauphin) omnisciente et impertinente.

 

Si des trois actrices présentes à l’écran, Edwige Feuillère est sans doute celle pour qui j’ai le moins d’intérêt, je dois admettre que le « sketch » dont elle est l’héroïne est sans doute le plus réussi et le plus mordant. Il faut voir la comédienne jouer les dames patronnesses avec toute l’hypocrisie requise et annoncer qu’elle ne prendra qu’une petite cuillère de caviar à déjeuner, ce qui lui permettra d’être solidaire avec les pauvres puisque, comme eux, elle mange peu !

Christian-Jaque se révèle assez percutant lorsqu’il livre une satire de cette haute bourgeoisie imbue d’elle-même et donnant des galas au profit des bonnes œuvres avec toute la duplicité qu’on peut imaginer.

 

Un spectateur à l’esprit borné par les mascarades des idéologies contemporaines pourra trouver que le film de Christian-Jaque est assez misogyne. Les femmes sont toutes superficielles (Cf. Le dialogue assez drôle et vachard entre Darrieux et France Roche), manipulatrices, rouées, vénales et hypocrites.

Mais d’un autre côté, ce sont elles les plus « libres » et qui tiennent entre leurs mains des hommes montrés comme inconsistants (Gélin), crédules (Louis Seigner dans le rôle d’un vieillard qui pense pouvoir séduire Martine Carol), arriérés (le père de la dernière conquête de Gélin, qui voudrait faire de sa fille une bonne mère au foyer juste bonne à nourrir son mari) et même pas forcément doués dans les jeux de l’amour !

 

A l’inverse de ce que l’on peut entendre parfois chez ceux qui veulent relire le passé à l’aune de nos valeurs étriquées (comment ne pas rigoler au nez de ceux qui prétendent stupidement que le cinéma hollywoodien classique fut « sexiste » ?), les rapports entre hommes et femmes que montre le cinéaste sont plus « complexes » que les éventuelles conclusions simplificatrices qu’on pourrait en tirer.

Bien entendu, on reste dans le domaine très modeste de la comédie de boulevard (avec les amants qui se cachent dans les placards) mais si l’on regarde le film en « historien » du cinéma et des mœurs, il n’est pas inintéressant…

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