Honor de Cavalleria (2006) d’Albert Serra avec Lluis Carbò, Lluis Serrat

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Deux hommes au milieu de la nature. Ils marchent sans but précis, bivouaquent à la belle étoile, se baignent, contemplent les paysages environnants, mènent une quête dont on ignore le but. Ces deux hommes, il se trouve qu’il s’agit de Don Quichotte et Sancho mais il pourrait aussi bien s’agir de Gerry et Gerry (les héros du films de Gus Van Sant) ou de n’importe qui tant la question de l’adaptation du chef-d’œuvre de Cervantès est éludée par Albert Serra dont c’est le premier long-métrage.

A ce stade de la compétition, et lorsqu’il constate qu’au bout de 10 minutes les deux personnages n’ont rien fait d’autre que piétiner sur place, le spectateur se voit offrir deux options : soit sombrer dans le plus profond des sommeils (pour être totalement honnête, il convient de noter que 5 ou 6 spectateurs sont partis avant la fin du film hier soir), soit se laisser embarquer par le rythme nonchalant de cette balade minimaliste et succomber aux charmes entêtants de la contemplation.

Honnor de Cavalleria fait partie de ces objets radicaux qui réclament une adhésion complète du spectateur, au risque de le perdre en cours de route. Pour ma part, je suis un peu partagé. Mon tempérament me pousse plutôt a aimer ce genre de projets et je suis un grand fan de Gerry ou des films de Weerasethakul (Blissfully yours, Tropical malady). Mais il m’arrive également de rester totalement à l’extérieur de certains films de ce type (je pense au puissant somnifère que représente pour moi l’œuvre complète de Marguerite Duras).

Albert Serra se situerait entre ces deux extrémités : je n’ai pas été aussi envoûté que j’aurais aimé l’être mais je trouve néanmoins le projet très intéressant, traversé par des moments de pure grâce.

Une des qualités indéniables du film de Serra, c’est son état de disponibilité au monde. Il s’agit de placer des personnages dans un décor et de laisser tourner la caméra pour voir ce qu’il va advenir. Le film procède de ce désir totalement cinématographique qui est le « désir d’être là », ouvert au monde et à ses mystères. Le cinéaste manifeste une attention assez remarquable à des choses souvent oubliées dans le cinéma traditionnel : le vent dans les feuilles d’un arbre, l’éclat de la lune par un beau soir d’été, les reflets de l’eau, le chant des cigales et des grillons…  

Venu présenter son film au public dijonnais, Albert Serra nous expliqua (c’est un redoutable orateur qui sait parfaitement conquérir son auditoire) qu’il avait imaginé de filmer « entre les chapitres » du roman de Cervantès, ces moments où il ne se passe rien, où les personnages attendent, marchent, se reposent, échangent quelques rares paroles.

Il ne s’agit pas pour autant d’une « improvisation » sur un canevas minimaliste puisqu’il y a par la suite un véritable travail sur le montage pour donner au projet une véritable forme cinématographique. Là encore, Serra analyse remarquablement son travail et explique qu’il a cherché à mêler la réalité la plus banale, la plus triviale à des considérations plus « métaphysiques » (on me passera le mot) puisque ces deux personnages effectuent une quête absurde au milieu d’une nature qui pose tout de suite la question du divin (d’autant plus que le cinéaste semble aimer filmer les ciels). Ce mélange se retrouve d’ailleurs dans la mise en scène : les passages les plus « sacrés » sont systématiquement tournés à la main (cette très belle contre-plongée sur Don Quichotte dont la silhouette se découpe devant le ciel) et davantage découpés que la plupart du temps. Inversement, les moments les plus triviaux, les plus banals sont tournés en plans fixes et de manière assez hiératique, moyen de faire passer un peu de sacré dans cette banalité du quotidien.

Ce mélange est assez étonnant et donne lieu a de très belles scènes, parfois assez fascinantes comme ce moment où Don Quichotte se bat avec son épée contre le vent. Le montage en « jump cut » donne le sentiment que le personnage est en train de perdre la raison tandis que Sancho le regarde stoïquement dans le lointain. Il représente alors le point de vue du spectateur et à sa position d’observateur de cette quête absurde sous un ciel vide.

A côté de cela, il faut aussi reconnaître que le film n’est pas dénué de « tunnels » où l’ennui pointe le bout de son nez. Honor de la cavalleria a un côté « brut de décoffrage » qui empêche parfois, même avec la meilleure volonté du monde, de se raccrocher à la moindre branche (le côté « arty » des films de Gus Van Sant, celui onirique ou panthéiste de Weerasethakul…). A côté d’Albert Serra, les Straub apparaissent comme des artistes baroques !

Mais si on se fiche de la dimension narrative du cinéma, ce film est une expérience assez intéressante sur la perception du temps et des sensations au cinéma, les seules choses qui semblent véritablement préoccuper le réalisateur…

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