Pasolini (2015) d'Abel Ferrara avec Willem Dafoe, Ninetto Davoli, Maria de Medeiros

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Après l'affaire DSK, Abel Ferrara consacre donc son nouveau film à la figure de Pier Paolo Pasolini. De la part du cinéaste américain, nous n'attendions pas un académique « biopic » retraçant la vie de l'artiste et c'est effectivement le cas. Ferrara filme les derniers jours de Pasolini, du moment où les journalistes commencent à l'interroger sur son dernier film (Salo) et le scandale qu'il risque de provoquer jusqu'à son assassinat sur une plage à Ostie.

Entre-temps, il s'agira moins de cerner la personnalité de l'écrivain, cinéaste, théoricien, critique et poète que de le montrer au travail, en train de préparer son dernier ouvrage et livrant ses pensées. Parallèlement à ce quotidien, Ferrara met en scène les visions de Pasolini en train d'écrire son roman Pétrole ou son scénario inachevé Porno-Teo-Kolossal. Séquence osée que celle imaginée par Pasolini d'une Rome où l'homosexualité serait devenue la norme sauf un jour par an où les accouplements hétérosexuels seraient organisés sur la place publique afin de perpétuer l'espèce.

 

Si Pasolini marque un certain retour en grâce de Ferrara chez les critiques, je trouve pour ma part qu'il s'agit un film qui a les qualités et les défauts de l’œuvre du cinéaste depuis près de 20 ans. Il est d'ailleurs dans la parfaite continuité de ses dernières réalisations : une sensation de fin du monde comme dans 4h44 dernier jour sur terre et Welcome to New-York, un autoportrait à peine déguisé de Ferrara en homme libre et fièrement indépendant dans un monde en déréliction comme dans Go, go, tales. Avec en plus cette dimension christique (l'ouverture avec l'incontournable Passion selon Saint-Matthieu de Bach) qui alourdissait considérablement le médiocre Mary.

Le plus réussi de Pasolini, c'est son côté « domestique », à mille lieues de la reconstitution poussiéreuse. Le montage fiévreux, caractéristique de Ferrara, parvient à mêler dans un même mouvement la sphère privée (le travail, les amis, les amours...) à la sphère publique (les déclarations aux journalistes) tout en préservant des échappées vers l'imaginaire (ces fameuses séquences « illustratives » des écrits du cinéaste). Encadré par deux séquences sur une plage, le récit donne de Pasolini une image presque familière, bien loin d'une tentative forcément vaine de cerner en quelques dizaines de minutes cette géniale personnalité. Plutôt que de jouer cette carte de l'hagiographie compassée, Ferrara préfère voir en Pasolini une sorte de « frère », dernier Mohican assistant à la fin d'un monde, marchant sur un fil au-dessus de l'abîme.

Face à cet univers sans queue ni tête, l'artiste est là pour tenter de redonner un peu de sens, de lier le sublime et le trivial (Bach et une série de fellations sordides sur une plage) et d'être à la fois en plein cœur de ce monde (ce Réel qu'il finit par prendre en pleine figure) et ailleurs, du côté de l'imagination et de la critique radicale.

Cette figure de l'artiste est d'autant plus émouvante que le mimétisme de Dafoe avec Pasolini est frappant.


D'un autre côté, cette approche est aussi un peu frustrante dans la mesure où la personnalité de Pasolini finit par être un peu banale, un peu ternie (rendue terne). Elle disparaît même lorsque Ferrara tente d'adapter ses écrits et honnêtement, ces passages sont un peu ratés (en dépit de la présence émouvante de Ninetto Davoli). Le cinéaste retombe dans ses travers et ses péchés mignons : une volonté d'intellectualiser ses films, le goût pour la métaphore fumeuse... Du coup, le film fonctionne par intermittence, parfois très beau ; parfois fumeux ou tout simplement plat. La célérité du montage fait aussi qu'on a l'impression que Ferrara « glisse » sur son sujet, qu'il ne parvient pas à vraiment saisir l'intériorité de l'artiste, de ce qui le meut. Et il suffit des quelques extraits de l'immense Salo pour qu'on réalise le fossé qu'il peut exister entre ce chef-d’œuvre et un film certes honorable mais inabouti.

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