Jean-Jacques Rousseau, cinéaste de l’absurde (2008) sous la direction de Frédéric Sojcher (Editions Archimbaud / Klincksieck. 2008)

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La première fois que j’ai entendu parler de Jean-Jacques Rousseau, c’est grâce à Jean-Pierre Bouyxou évoquant Le diabolique docteur Flak dans Une encyclopédie du nu au cinéma. Qu’un cinéaste puisse porter un patronyme pareil en tournant des films totalement fauchés, voilà qui ne pouvait que piquer ma curiosité.

Puis vint l’excellent documentaire de Frédéric Sojcher Cinéastes à tout prix, consacré à trois excentriques belges passionnés par le cinéma et prêts à reconstituer la bataille de Waterloo dans leurs jardins avec des soldats de plomb ! Dans ce film, on faisait davantage connaissance avec Jean-Jacques Rousseau, incroyable ouvrier autodidacte qui, toute sa vie, s’est battu pour que ses films existent en tournant avec les moyens du bord. On découvrait également un « personnage », celui d’un réalisateur s’autoproclamant « cinéaste de l’absurde », arborant sans arrêt une cagoule sur ses tournages et débutant l’annonce des scènes à tourner à l’aide d’un revolver !

Grâce au succès (mérité !) du film, Jean-Jacques Rousseau a acquis une petite renommée dépassant le cénacle des cinéphiles déviants qui le soutiennent depuis longtemps (Bouyxou, Noël Godin…). On le vit ainsi débattre en compagnie de Bertrand Tavernier, de Claire Denis ou de Jan Kounen dans les salles de cinéma et même à la Sorbonne !

Ce livre marque une sorte de consécration pour celui qui commença sa carrière en montrant ses films (tournés avec une économie proche de celle du cinéma amateur) dans les cafés de sa bourgade !

 

L’ouvrage est composé de trois parties. La première regroupe une série d’analyses de l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, allant d’un panorama minutieux de la filmographie du maître (par Frédéric Sojcher) à une présentation loufoque d’un Noël Godin faisant l’apologie de son « cinéma désolant ».

Dans un deuxième temps, Jean-Jacques Rousseau nous parle de lui (son enfance, sa carrière, ses idées…) sous forme d’un abécédaire et de propos à brûle-pourpoint avec le journaliste Denis Dargent.

Enfin, la dernière partie du livre regroupe une série de témoignages des collaborateurs fidèles du cinéaste mais également de « fans » inattendus (l’écrivain Nadine Monfils, le cinéaste Jan Kounen…)

 

Que dire de Jean-Jacques Rousseau ? Certains l’ont comparé (sans doute abusivement) à Ed Wood. Sauf que le cinéaste américain travaillait, même avec de faibles moyens, dans le cadre de l’industrie et des studios hollywoodiens. Rousseau a toujours tourné en dilettante, avec les moyens du bord et en occupant quasiment tous les postes imaginables (montage, cadre, production, réalisation, acteur…). Jean-Pierre Bouyxou a raison de le situer davantage dans la lignée de ces cinéastes totalement marginaux et « hors-circuit » comme Andy Milligan ou Ray Dennis Steckler. J’ajouterais, pour ma part, que son goût pour le fantastique bricolé le rapproche également de quelqu’un comme Norbert Moutier.

Cette situation fait de Rousseau quelqu’un de totalement atypique (nous verrons que son imaginaire n’a rien non plus de « normal ») mais également la quintessence d’un certain cinéma « d’auteur » (il a toujours été le maître absolu de son œuvre). D’une certaine manière, il est le facteur Cheval du cinéma, bâtissant film après film, son « palais idéal », unique et ne ressemblant à rien d’autre qu’à lui-même.

 

Pour certain, Rousseau a un peu perdu de son innocence en revendiquant désormais pleinement son statut de « cinéaste de l’absurde » et en oubliant un peu le premier degré désarmant de ses œuvres de jeunesse (même si l’exploitation en DVD du Diabolique docteur Flak semble compromise en raison de problèmes de droits musicaux, nous rêvons de découvrir ce film !). Mais il y a dans les propos du cinéaste une telle naïveté (« Manger de la viande nous rend agressifs. Adolf Hitler ne mangeait pas de viande, il était quand même agressif…Faut voir, ce n’est toujours qu’une généralité. Ceux qui ne mangent que du végétal peuvent aussi être agressifs. Hitler venait peut-être d’un père qui mangeait de la viande… Génétiquement parlant, il a brisé ce cycle de la viande, il est devenu végétarien et il a provoqué les autres dans une folie ultime. Ce fut une catastrophe. ») et une telle passion que le lecteur est séduit et touché par son imaginaire débordant et son surréalisme.

 

De plus, un homme qui déclare : « Si j’avais les moyens de Spielberg, j’aurais fait mieux. S’il avait eu mes moyens, jamais il n’aurait fait du cinéma. Il se serait reconverti comme chasseur de papillons à Hollywood. Pensez-vous qu’avec 2500 euros, Spielberg serait capable de faire un film de 50 minutes ? Il n’aurait même pas assez pour remplir le réservoir de sa jeep ! » ou qui débute un film, alors que le spectateur n’a encore vu aucune image, par un carton intitulé « 20 ans après »,  ne peut pas être totalement mauvais ! 

 

La réussite du livre est du même ordre que celle de Cinéastes à tout prix, à savoir qu’on ne rit jamais de Jean-Jacques Rousseau même si on s’amuse parfois de ses facéties (« Car l’Allemand se ressaisit et se recrée vite. C’est comme un ver de terre, l’Allemand, vous le coupez en deux et il se reconstitue. »). Aucun des témoins ou des analystes n’a l’outrecuidance de se draper dans un second degré méprisant pour évoquer son œuvre. La foi que Jean-Jacques Rousseau a placée dans le cinéma est telle qu’elle pourrait déplacer des montagnes (une preuve ? Il a monté les marches du prestigieux palais des festivals à Cannes) et elle est communicative.

 

En abordant l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, c’est toute notre perception « normale » du cinéma qui est chamboulée. Comme le dit fort bien Jean-Pierre Bouyxou (à qui nous confions la tâche de conclure notre article) :

 

« Aucune provocation ne rebute Rousseau. On a droit dans le Diabolique docteur Flak à une chanson entière de Claude François. Même Straub et Huillet aurait reculé devant tant de violence. Seul, peut-être, le Guy Debord de Hurlements en faveur de Sade pourrait supporter la comparaison avec Rousseau, situationniste à sa déconcertante façon. » 

 

(*) J'emprunte sans vergogne ce génial titre à Jean-Pierre Bouyxou

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