Only lovers left alive (2013) de Jim Jarmusch avec Tilda Swinton, Tom Hiddleston, Mia Wasikowska, John Hurt

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Il y a bientôt vingt ans, alors que son cinéma commençait à marquer de sérieux signes d'essoufflement, Jim Jarmusch avait été lorgner du côté du cinéma de genre pour se ressourcer. C'est ainsi qu'en revisitant les territoires du western et du « chambara », le cinéaste put réaliser deux chefs-d’œuvre consécutifs : Dead man et Ghost Dog, la voix du samouraï.

C'est donc avec une certaine impatience que nous attendions Only lovers left alive puisqu'après un exercice de style un peu mécanique (The limits of control), nous espérions beaucoup de cette échappée du cinéaste vers le film de vampires.

Si le résultat n'est pas totalement à la hauteur de nos espérances, admettons que Jarmusch conserve un panache suffisant pour nous séduire sans pour autant nous éblouir.

 

Le gros problème d'Only lovers left alive tient sans doute à son approche du genre. Il n'est évidemment pas question pour Jarmusch de montrer des vampires adeptes de jeunes vierges effarouchées et allant boire le sang directement au cou des victimes (« c'est tellement 15ème siècle », s'exclame Eve). Ses vampires sont plutôt des survivants d'un monde englouti : ils aiment les vieilles guitares des années 50/60, le bon rock de ces années-là, les vinyles et la littérature romantique. Le sang, ils se le procurent dans les hôpitaux, le dégustent en sorbet et le savourent dans des verres comme un alcool rare. Chez Jarmusch, l'aristocratie romantique du vampire cède la place à un certain dandysme. Ils appartiennent à une sorte d'élite et méprisent cordialement les « zombies » qui règnent désormais sur terre (surtout à Los Angeles, « capitale des zombies » selon Adam).

Alors que dans Dead man, Jarmusch parvenait à proposer une véritable critique de l'Amérique en revisitant les grands espaces et en s'imprégnant de la culture indienne ; il peine ici à dépasser la pose de l'adolescent rebelle et vaguement intello. La « distinction » qu'il offre à ses vampires paraît un peu puérile même si je dois avouer que la haine qu'entretient le cinéaste pour la « modernité » n'est pas pour me déplaire (quelques piques bienvenues contre You Tube et la « culture musicale » saucissonnée que le site propose)

Autre réserve, la nonchalance narrative de Jarmusch confine ici à une certaine paresse. Non pas que je dénigre cette vertu capitale mais force est de constater que le cinéaste peine à captiver pendant deux heures. Si l'arrivée de la sœur cadette d'Eve (Ava, jouée délicieusement par Mia Wasikowska) redonne un peu de tonus au récit, il faut bien dire que le film n'est pas exempt de certains tunnels un peu languissants.

 

Ces réserves posées, Only lovers left alive n'est pas un film méprisable. Jarmusch n'a pas perdu toute sa superbe lorsqu'il s'agit de filmer des personnages décalés et vagabonds. Que ce soit dans les rues de Tanger ou dans celles de Détroit, le cinéaste parvient à nous offrir quelques jolies séquences nocturnes. Une des plus belles séquences est sans doute celle où le couple de vampires s'offre une petite virée au « Michigan Theater ». Tout l'art de Jarmusch tient dans cette séquence : une longue balade mélancolique sur les traces de personnages erratiques, un regard acéré sur la beauté des lieux et une profonde nostalgie pour un monde en train de disparaître. En effet, ce théâtre qui représentait une sorte de « temple du Beau » (une salle de cinéma mais également de concert, de théâtre) a été transformé en atroce... parking ! Les vampires selon Jarmusch sont les derniers témoins d'un monde en train de disparaître, anéanti par la consommation à outrance, la technologie, la laideur généralisée.

 

C'est d'ailleurs assez étonnant de voir un cinéaste qui incarnait autrefois la pointe de la modernité cinématographique devenir un thuriféraire du « c'était mieux avant ». Mais lui en faire le procès serait malhonnête dans la mesure où il y a toujours eu ce sentiment de « perte » chez Jarmusch, cette profonde mélancolie de celui qui est arrivé après.

Quand on voit ce qu'est devenu Wenders, autre cinéaste «rock'n'roll » travaillé par les mêmes thèmes de l'errance et de la fin des grands récits, on se dit que Jarmusch, en dépit de son côté poseur, a toujours de beaux restes et qu'il peut encore nous surprendre...

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