Mammuth (2010) de Benoît Delépine et Gustave Kervern avec Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Isabelle Adjani, Anna Mouglalis, Benoît Poelvoorde, Siné

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Le tandem Delépine/Kervern s’affirme de film en film comme un « couple » de cinéastes à suivre avec de plus en plus d’intérêt. Après deux exercices de style assez réussis (Aaltra et Avida), ils sont passés à la vitesse supérieure avec Louise-Michel et signent ici une comédie absurde passionnante et, en grande partie, aboutie.

Les films de nos deux zozos regorgent d’idées maousses pour colorer un quotidien terne et gris. Dans Louise-Michel, ils conseillaient aux suicidaires ou malades en phase terminale de ne pas se comporter en égoïstes et de dézinguer les grands patrons qui délocalisent avant leur trépas. Dans Mammuth, ils offrent à un retraité splendide (Gérard Depardieu) une escapade où, à mille lieues des tracasseries administratives et du trantran quotidien, il parviendra à renouer avec la liberté et le plaisir de ne rien faire.   

Le film s’ouvre donc sur un pot de retraite désopilant. Après des dizaines d’années de bons et loyaux services dans une usine de charcuterie, Serge Pillardosse prend sa retraite en emportant…un puzzle ! Sa femme (Yolande Moreau) le pousse a effectuer toutes les démarches administratives afin qu’il touche sa pension à taux plein. Le voilà donc obligé de prendre sa vieille « Mammuth » (sa moto) pour aller chercher les « papelards » nécessaires chez ses anciens employeurs…

Dès les premiers plans, on reconnaît le style « Delépine / Kervern » : humour noir, saynètes minimalistes et absurdes (Depardieu qui s’ennuie tellement pendant sa retraite qu’il compte les voitures !), gags discrets, se déroulant parfois dans la profondeur de champ… C’est d’ailleurs ce qui réjouit depuis leur premier opus : enfin des cinéastes de comédie qui fuient comme la peste l’humour franchouillard et les gags éculés. L’humour n’est pas ici synonyme d’absence de mise en scène et l’on apprécie un véritable sens du cinéma lorsqu’il s’agit de faire advenir les gags hors champ ou de manière à les faire imaginer par le spectateur (l’excellent passage où Depardieu se retrouve confronté à un employé de la caisse de retraite joué par Blutch). Il y a toujours un travail sur le cadre, l’ellipse et l’espace cinématographique chez Kervern et Delépine qui fait que les gags ont souvent un aspect inattendu et inventif (le mot « poétique » a souvent été galvaudé mais il y a pourtant de ça dans le film).

 

« Road movie » à la française, le parcours de Serge permet aux cinéastes de composer une savoureuse galerie de seconds rôles, qui va de la voleuse sexy (la sublime Anna Mouglalis) au prospecteur de pièces abandonnées sur les plages (une apparition hilarante de B.Poelvoorde) en passant par le viticulteur teigneux (Bob Siné). La promenade ne vire jamais au jeu de massacre et le film fait preuve d’une véritable compassion pour les petites gens qu’il met en scène, même si les cinéastes ne parviennent pas encore tout à fait à atteindre le niveau d’Aki Kaurismäki, un de leurs modèles avoués.

Je vais à ce propos, malheureusement, émettre la seule petite réserve qui m’est venue à l’esprit en découvrant ce film et qui est toujours la même depuis Aaltra. Autant je trouve que Mammuth est parfaitement réussi dans chacun de ses moments, autant je trouve qu’il manque toujours un petit quelque chose, ce « liant » qui donnerait au film une autre ampleur. Aaltra et Avida étaient clairement des exercices de style, construits comme une succession de petits sketches absurdes. Louise-Michel était déjà mieux construit et dans Mammuth, on se dit que le personnage d’Adjani (idée sublime puisqu’elle ne joue qu’un fantôme) va donner au film son épine dorsale. Or même si toutes les scènes où elle apparaît fonctionnent très bien (la rigueur du cadre laisse alors place à des plans montés « cut » où la photographie granuleuse et « délavée » donne au film un côté Jonas Mekas plutôt inattendu dans une œuvre « grand public »), elles ne parviennent pas à homogénéiser totalement un film qui ne parle que de ça : comment se réconcilier avec son passé et renouer avec ses amours perdus.

Un exemple pour être plus précis. A un moment donné, Depardieu se fait voler son portable. Quand sa femme tombe sur la voleuse en essayant de l’appeler, elle voit rouge et monte une expédition avec une copine pour aller récupérer l’objet et donner une leçon à la jeune femme. En tant que « sketch », le passage fonctionne plutôt bien et se révèle assez drôle grâce à l’indéniable tempérament comique de Yolande Moreau. Mais on voit venir les cinéastes de loin : terminer la scène par une chute absurde (les deux femmes réalisent soudain qu’elles ne savent pas où elles vont et qu’elles n’ont aucun indice pour retrouver la voleuse !), comme un sketch.

Est-ce la peur d’ennuyer ou de vouloir faire drôle à tout prix qui a poussé les cinéastes à systématiquement trouver une « chute » à chacune de leurs scènes ? Toujours est-il que cela empêche (un peu !) Mammuth  de trouver une forme véritablement organique.

N’allez pas croire cependant que cela nuise à l’ensemble : certains passages sont vraiment très bien vus, comme ce moment où Serge découvre un cadavre dont personne ne se soucie au supermarché. L’image est frappante parce qu’elle condense le propos du film : quelle place pour l’individu dans une société de plus en plus normative, soumise aux diktats du profit, de la rentabilité et du travail ? L’homme n’est plus alors qu’un cadavre en sursis dont  personne ne se soucie…

En enfourchant sa vieille moto, Serge se libère peu à peu de ces carcans et va retrouver le parfum de la liberté, notamment grâce à sa nièce (très beau personnage). 

Moins rageur que Louise-Michel, Mammuth affiche une nouvelle fois la belle santé libertaire des deux auteurs, toujours inspirés d’ailleurs par le surréalisme (Dali dans Avida, Bellmer ici avec l’extravagant jardin de la nièce de Serge et ses poupées désossées). 

Pour finir, et même si ça été dit partout, il faut dire deux mots de la performance de Depardieu. Massif, les cheveux longs et filasses, fragile, blessé et rageur ; ça faisait très longtemps qu’on ne l’avait pas vu aussi bon. On en voulait presque à cet acteur que nous avions tellement aimé (chez Truffaut, Resnais, Blier, Téchiné, Pialat et tant d’autres…) de se compromettre ses derniers temps dans tant d’ineffables navets (signés Zidi, Poiré ou Zeitoun et j’en passe et des meilleurs). Delépine et Kervern nous le ressuscitent et lui redonnent son panache d’antan (même si c’est sur un mode beaucoup plus « dépressif »). Pour cela, qu’ils soient remerciés.

Et pour cette raison, mais pas seulement, Mammuth est assurément le film à voir en ce moment où le calme plat règne en salle…

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