Coffret Western – les films cultes (Editions Montparnasse) Sortie le octobre 2012

 

-La charge héroïque (1950) de John Ford avec John Wayne, Joanne Dru, Victor McLagen

-La chevauchée fantastique (1939) de John Ford avec John Wayne, John Carradine

-La prisonnière du désert (1956) de John Ford avec John Wayne, Natalie Wood

-Rio Bravo (1959) de Howard Hawks avec John Wayne, Dean Martin, Angie Dickinson, Ricky Nelson

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La période des fêtes arrivant à grands pas, des éditeurs peu scrupuleux en profitent pour refourguer à peu de frais leurs anciens titres en les assemblant parfois arbitrairement dans des coffrets vendus à bon marché. Tous les ans, on pourra trouver des coffrets dédiés au western (où l'on retrouve des nanars signés William Beaudine) ou à John Wayne sans pour autant parvenir à déceler une cohérence dans ces publications.

C'est sans doute pour cette raison qu'il faut louer les éditions Montparnasse qui nous proposent aujourd'hui ce coffret sans la moindre faute de goût. Pourtant, les films présentés ne sont pas nouveaux (ils ont déjà été édités en DVD) et les suppléments sont quasiment inexistants. Mais ce sont tout simplement quatre immenses chefs-d'œuvre que l'on peut revoir et éventuellement offrir (le cadeau de Noël idéal) à un cinéphile qui ne posséderait pas déjà ces films (c'était mon cas).

 

Pour le critique, la tâche est plus dur parce que tout a déjà été dit sur ces titres. Qu'ajouter qui n'ait pas été déjà dit, écrit, analysé, décortiqué, y compris par votre serviteur (voir ma critique de La chevauchée fantastique où je ne regrette finalement qu'une signalétique presque trop « sévère »). Alors plutôt que de tenter de vaines gloses en m'appuyant sur la fameuse politique des « auteurs », essayons de suivre le fil tendu par Luc Moullet et sa « politique des acteurs » en nous attardant sur le cas John Wayne qui donne à ce coffret son unité.

 

Acteur fétiche de John Ford, le « Duke » représente à lui tout seul le mythe d'une Amérique conquérante et construisant sa légende à coups de revolver. Derrière son personnage monolithique d'homme viril et solitaire, Wayne peut tout jouer. A plus de 50 ans, il séduit la toute jeune Angie Dickinson (Rio Bravo) tandis que, vieilli et blanchi prématurément (il n'a que 43 ans), il s'apprête déjà à partir en retraite et passer la main dans La charge héroïque.

Chacun des rôles que lui confie Ford lui permet de peaufiner un peu une facette du personnage et, par extension, à construire cette « légende de l'Ouest » que le cinéaste à toujours tenté d'imprimer (quitte à en montrer parfois, avec une grande lucidité, l'envers. Cf. l'homme qui tua Liberty Valance).

Avec ces trois films, Ford s'inscrit plus que jamais dans le mythe en se confrontant par trois fois aux indiens. Et finalement, ce qui intéresse le cinéaste, c'est peut-être moins de façonner le mythe (puisque John Wayne est, de toute façon, un personnage de légende) que d'en assurer la pérennité. Comme le souligne Pierre Berthomieu, John Ford est obsédé par les rituels qui rythment l'existence humaine (la naissance, le mariage, la mort...) de façon cyclique. Il s'agit alors de se conformer à un certain ordre du monde (le sublime plan d'ouverture de La prisonnière du désert où le spectateur passe de l'obscurité à la vision grandiose de Monument Valley : véritable « naissance » du regard) et de montrer la façon dont cet ordre se perpétue. C'est l'objet de La charge héroïque (She wore a yellow ribbon), admirable fresque épique où le capitaine Nathan Brittles (John Wayne), à quelques jours de la retraite, se voit confier une ultime mission : effectuer une patrouille pour mener la femme du commandant et sa nièce à la diligence tandis que les tribus indiennes révoltées obtiennent des armes de trafiquants peu scrupuleux... Cette nièce est d'ailleurs l'objet de convoitise de deux jeunes lieutenants qui se disputent sa main.

Éloge de la cavalerie et de l'héroïsme des pionniers américains, La charge héroïque est un film beaucoup plus ambigu que ça où Ford ne cesse de déporter les enjeux de son film. Une très belle scène élégiaque montre Nathan en train de se recueillir sur la tombe de son épouse (le deuil comme rituel de passage) tandis que l'ombre de la jeune femme (Joanne Dru) apparaît sur la pierre tombale. On assiste alors à un véritable phénomène de substitution même s'il n'y aura jamais de « séduction » explicite entre ces deux personnages. Mais désormais, Nathan s'interposera toujours dans les disputes entre les jeunes hommes. L'image de la femme morte disparaît et renaît dans celle d'une véritable « fille ».

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Ce rapport de filiation, on le retrouve également dans La prisonnière du désert où Ethan, accompagné d'un « neveu » de sang mêlé, part à la recherche de sa nièce enlevée par les Comanches après le massacre de toute sa famille. Là encore, au-delà de la quête qui permet à Ford de filmer avec son souffle légendaire les paysages grandioses de l'Ouest américain, c'est l'aspect filiation qui intéresse le cinéaste et le côté cyclique de son récit. En ouverture, Ethan rentre tel le fils prodigue à la maison, repart et finit par revenir (les plans se répondent de façon quasi géométrique). Pour que la légende puisse s'imprimer, il faut que le mythe perdure et se répète.

D'où le côté presque similaire du fil conducteur du récit (un chemin semé d’embûches au cœur du territoire indien) mais qui donne pourtant des résultats totalement différents.

La chevauchée fantastique narre les tribulations d'une petite communauté dans une diligence tandis que plane la menace des Apaches. Mais comme je le disais dans ma critique, ce qui intéresse Ford, c'est avant tout de décrire une communauté et la manière dont elle se construit. Son humanisme apparaît parfaitement dans ce chef-d'œuvre où des personnages marginaux (la prostituée, le médecin alcoolique, le joueur roué et fourbe...) finissent par constituer une véritable communauté américaine. Et celle-ci comprend également les confédérés du sud (comme le souligne Nathan dans La charge héroïque) mais également les indiens. Dans le même film, John Wayne va fumer le calumet de la paix et négocier avec un chef indien qui est son ami et il y a dans La prisonnière du désert cette même volonté de paix et de cohabitation pacifique.

 

Violent (le jeune Ringo Kid veut venger sa famille dans La chevauchée fantastique) mais également capable d'une rare grandeur d'âme ; John Wayne incarne parfaitement cette double face du mythe et son caractère éternel. La geste épique de Ford (on reste toujours scotché par ces séquences d'attaques incroyablement filmées), son souffle lyrique, sa vision picturale des grands espaces comptent autant que son sens de l'humour, de l'élégie (le coucher de soleil de La charge héroïque qui annonce finalement le grand « retour » du capitaine) et de la digression (les passages burlesques particulièrement savoureux comme la bagarre où se trouve mêlé Victor McLagen dans La charge héroïque, les trognes haute en couleurs de La chevauchée fantastique...). Tout cela finit par composer une communauté de destin, parfaitement intégrée dans quelque chose de plus vaste et d'harmonieux qui la dépasse et revient cycliquement.

 

Le cinéma de Hawks n'a, bien évidemment, rien à voir avec celui de Ford. Aux grands espaces succède dans Rio Bravo la petite ville texane peuplée d'individus sans foi ni loi (ou presque!), à la vision épique de l'Ouest américain succède une caméra à « hauteur d'hommes », au « melting-pot » fordien se substitue un univers violent où les individus doivent lutter pour faire appliquer la Loi et résister à l'engrenage de la violence.

Celui qui assure la transition, c'est John Wayne qui, là encore, incarne une certaine vision de l'Amérique. Même si on est loin de Ringo Kid voulant appliquer la loi du talion dans La chevauchée héroïque, John T Chance représente une certaine conception d'une Amérique désireuse de faire appliquer la Loi pour tous, de souder la communauté autour d'une juridiction (d'une certaine manière, Chance incarne un personnage dans la lignée de l'avocat joué par James Stewart dans L'homme qui tua Liberty Valance). Il y a chez Chance ce côté viril et solitaire du pionnier mais également une véritable aura « paternelle ». Le Duke est celui qui, contre les voyous, assure la pérennité de la justice et, de ce fait, de la communauté tout en « léguant » son pouvoir à des fils : le jeune chien fougueux joué par Ricky Nelson et, surtout, son acolyte alcoolique superbement incarné par Dean Martin.

Tandis que l'espace s'est rétréci (au point que nos quatre vaillants héros finissent presque confinés dans leur prison) et que Hawks joue merveilleusement sur le côté claustrophobe de cette petite bourgade assiégée (Carpenter saura s'en souvenir dans Assaut ou Halloween); John Wayne incarne ce roc immuable taillé dans la légende américaine. Il faudrait évidemment beaucoup plus développer pour dire l'inusable grandeur de ce Rio Bravo, l'un des plus beaux films de tous les temps. Louer le sens de la mise en scène d'Hawks (ah, le sang dans le verre de bière!), son sens de l'humour, le sous-texte permanent du film (la fameuse camaraderie virile du cinéaste où l'on se montre volontiers ses revolvers quitte à comparer leurs tailles comme dans La rivière rouge).

Mais ce n'est pas l'objet de cette note qui, à travers la splendeur immuable de ces quatre westerns, a simplement cherché à souligner modestement la manière dont Hawks et Ford sont parvenus à bâtir une part du mythe de l'Amérique sur les épaules d'un acteur d'exception : John Wayne.

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