Pierre Etaix, enfin !
Yoyo (1964) de et avec Pierre Etaix
Je ne vous apprendrai certainement pas que les films de Pierre Etaix étaient, suite à un sordide imbroglio juridique, invisibles depuis de nombreuses années. Pour ma part, j’avais vu il y a fort longtemps Le soupirant, Le grand amour et Pays de Cocagne (notamment sur la chaîne suisse romande) mais les souvenirs de ces films se sont peu à peu estompés (vous ai-je déjà confié que j’avais une mémoire de poisson rouge ?). C’est dire si c’est avec joie que l’on a appris la « victoire » du cinéaste et la possibilité de revoir ses films.
La découverte de Yoyo, présenté dans une superbe copie restaurée, fut un immense bonheur d’autant plus que Pierre Etaix est venu en personne pour le présenter. Ce grand monsieur du cirque, du music-hall et du cinéma a désormais 82 ans et n’a rien perdu de sa vaillance et de son élégance (la superbe cravate rouge, assortie à une pochette de la même couleur, nous a révélé le clown qu’il n’a jamais cessé d’être). Ce fut un beau moment que de l’entendre parler de ce métier qu’il apprit avec Jacques Tati, de sa collaboration privilégiée avec Jean-Claude Carrière et de son amour du cirque.
Avant de voir Yoyo, nous eûmes le plaisir de découvrir Heureux anniversaire, un désopilant court-métrage de 1962, parfaite mécanique burlesque où chaque geste provoque une réaction en chaîne et empêche le héros du film d’arriver à l’heure chez lui où sa femme l’attend pour un dîner d’anniversaire. Pierre Etaix fait déjà preuve avec ce film d’un sens inouï de l’observation (les scènes d’embouteillage annoncent le Trafic de Tati) et d’une rigueur dans la mise en scène qui permet à son horlogerie comique de fonctionner à merveille.
Yoyo est son deuxième long-métrage (après Le soupirant) et c’est une petite merveille qui revisite, d’une certaine manière, toute l’histoire du cinéma comique.
Un aristocrate désoeuvré s’ennuie à mourir et se languit pour une femme qu’il a connue autrefois. Lorsqu’il découvre qu’elle travaille dans un cirque, il fait donner une représentation dans la cour de son château… Je ne poursuis pas le résumé plus loin car le film traverse les époques (de 1925 aux années 60) et change de style au fur et à mesure (même s’il ne semble jamais décousu).
La première partie est un pur joyau où Pierre Etaix rend hommage au cinéma burlesque primitif. Le film ressemble à une œuvre muette mais sonorisée jusqu’à l’exagération (les tiroirs font un bruit fou lorsqu’on les ouvre). La mise en scène est d’une rare rigueur et le cinéaste parvient à jouer avec tous les éléments du cadre : la profondeur de champ (les gags se déroulent parfois dans l’arrière-plan), le hors champ voir le bord cadre (certains gags naissent de la manière dont le plan est cadré et de ce que les bordures cachent), les décors en trompe-l’œil (Castelli en domestique qui se sert un petit verre en le prenant dans un tableau alors que le spectateur avait l’impression de voir un élément peint)… La mécanique des gags est parfaite et ils s’enchaînent avec un rare bonheur. L’impassibilité de l’acteur Etaix et la géométrie de sa mise en scène renvoient bien évidemment au cinéma de Buster Keaton, l’un des modèles avoués du cinéaste. J’ai beaucoup pensé également au Dictateur de Chaplin, avec cet homme constamment entouré et dont chaque geste est pensé comme un rituel très précis. Le cinéaste cite d’ailleurs expressément Chaplin lors d’un épisode se situant pendant la deuxième guerre mondiale : Hitler se transforme lui-même en Hynkel alors que, parallèlement, les soviétiques brandissent des affiches de Staline et de… Groucho Marx.
L’épisode contemporain s’avère un peu plus satirique et Pierre Etaix se permet même un interlude un poil vieilli mais très drôle où il fustige la télévision. Celle-ci a tellement évolué (pas forcément en bien, d’ailleurs) que le passage paraît un peu caduque. Tout ce qui a trait aux années 60 devient un peu plus sarcastique et l’on sent alors davantage l’influence de Tati dans cette critique de la modernité (Tati dont l’ombre plane également sur l’univers sonore du film). Cela n’empêche pas le film d’être tordant à certains moments (je recommande le passage où un inventeur ringard vient présenter à Yoyo (Yoyo est le fils du milliardaire du début du film) toute une série de gadgets prétendus comiques et qui le deviennent par la grâce de la mise en scène d’Etaix qui refait d’ailleurs, d’une certaine manière, une scène du Dictateur).
L’humour de Pierre Etaix est assez particulier, entre la grande tradition des burlesques déjà cités et une manière assez originale de nimber chaque situation d’une certaine « poésie » (désolé pour le mot-valise, souvent galvaudé d’ailleurs). A l’ennui de l’existence du milliardaire, le cinéaste oppose la vie trépidante des gens du cirque et des saltimbanques. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il se permet au détour d’un plan un petit hommage à Fellini dont l’univers vient également du cirque et du music-hall.
L’art de Pierre Etaix, aussi sophistiqué qu’il puisse être (encore une fois, la rigueur géométrique de la mise en scène est impressionnante et le cinéaste n’hésite pas non plus à construire des gags sur certaines références pas forcément « faciles » -je pense à ce plan où il reproduit malicieusement le tableau de Millet L’angélus…), reste toujours ancré dans ses origines populaires (les clowns, le cirque…) et vagabondes.
Et c’est sans doute aussi pour ça que Yoyo nous touche toujours autant, près de 45 ans après sa réalisation…
PS : Les plus curieux d’entre-vous auront noté un nouveau lien dans mes favoris. Il s’agit d’une expérience concoctée par le camarade Ed (décidément infatigable !) et qui consiste à faire un tableau récapitulatif (le fameux système des étoiles) des films du mois vus par les blogueurs (dont votre serviteur). Le site se trouve là.