Le contrebandier des profondeurs (1978) de Gérard Courant

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Cela faisait une éternité que je n’avais pas évoqué le cinéma de Gérard Courant, hors Cinématon. Et pourtant, ce n’est pas l’envie qui me manque de découvrir tous les DVD qui attendent bien sagement sur les étages de ma bibliothèque. Si j’ai opté pour Le contrebandier des profondeurs, c’est tout simplement parce qu’il s’agit d’un des premiers « carnets filmés » du cinéaste.

 

Certains carnets sont plus anciens mais, à l’instar des films consacrés aux rencontres avec Philippe Garrel à Digne, ils sont constitués uniquement d’une bande-son et la « bande image » a été retravaillée bien plus tardivement.

Le contrebandier des profondeurs date de 1978, soit l’année de démarrage des Cinématons mais également l’année où Courant a pu acheter sa première caméra Super 8. Il s’agit donc de ces premiers véritables essais de « filmeur ».

 

Les grands Carnets filmés de Courant (Nuits transparentes, L’artifice et le factice…) passionnent à la fois pour leur dimension « archivistique » (un panorama du monde artistique et culturel du moment), leur dimension « archéologique » (ces lieux que le cinéaste filme en héritier des frères Lumière), leur dimension intimiste (ce sont de véritables journaux intimes) et leur dimension « expérimentale » (le traitement de l’image).

Avouons que toutes ces dimensions ne sont pas encore présentes dans Le contrebandier des profondeurs. On sent que Courant est ravi d’avoir sa caméra et qu’il en use afin d’en appréhender toutes les possibilités en jouant sur les zooms et la dimension « cinétique » du cinéma (ces plans de la campagne bourguignonne filmée depuis un train en marche).

Ce qui l’intéresse ici, c’est d’abord l’aspect expérimental : montage chaloupé et heurté à la Jonas Mekas, jeu sur la texture de l’image et la lumière (Courant est fasciné par les reflets de l’eau), ambiance sonore oppressante…

Certaines de ces images « d’époque » ont d’ailleurs été retravaillées au montage numérique puisque la séquence vue depuis le train défile à un moment au ralenti, créant un effet visuel assez intéressant.

L’expérimentation vire parfois à la blague de potache lorsque Courant présente son film L’âge doré, gros plan (un peu éprouvant, convenons-en) de 3 minute 30 sur… de la mousse dorée par les rayons du soleil !

Cette tentation « expérimentale » très dadaïste (Courant dit s’être inspiré de Picabia) n’est pas la dimension que je préfère dans son cinéma. En revanche, son « carnet » parvient à séduire lorsqu’il devient ce grand journal intime que le cinéaste ne va cesser d’étoffer. On y voit ici un extrait du Cinématon de François Jost, interrompu par une panne de caméra ou encore celui de Raymonde Carasco, lui aussi interrompu avant la fin.

 

Mais les moments les plus émouvants sont ceux où le cinéaste insère des documents d’archives sous forme de photos. Il faut le voir scruter ses propres photos et se pencher sur l’image de ce jeune homme aux cheveux longs et bouclés. D’aucuns y verront la quintessence du narcissisme mais ce ne serait rien comprendre au travail de Courant qui part de sa personne pour fixer de manière beaucoup plus universelle la fuite du temps et la mélancolie immédiate qu’induit la pratique d’un cinéma à la première personne.

 

Le contrebandier des profondeurs n’est sans doute pas le plus réussi de ses Carnets filmés mais c’est un jalon important puisque se dessine déjà tout ce qui composera l’œuvre du cinéaste (par exemple, ces plans tournés depuis son appartement dans le 14ème annoncent la série De ma chambre d’hôtel).

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