Retour à Beaune
En raison d’un emploi du temps relativement chargé, je n’ai suivi que de manière sporadique le 3ème festival du film policier de Beaune. Commençons par dire, après ma note sévère de l’an dernier, que j’ai pu constater un progrès notable quant à l’organisation de l’évènement et la communication autour d’icelui. Plus de monde dans les salles (me semble-t-il) et une tentative de se tourner davantage vers le public local.
En revanche, il me semble que ce festival peine encore à trouver sa véritable identité, entre la vitrine « people » (Régis Wargnier, Clovis Cornillac, Mireille Darc…Mhouaif !) et une véritable exploration cinéphile du genre. Autant les deux compétitions du festival semblent avoir trouvé un bon rythme de croisière (la compétition « officielle » et celle intitulée « sang neuf »), autant la programmation « parallèle » me semble toujours effectuée en dépit du bon sens.
Trop d’hommages (les dix derniers films de Chabrol sont très biens mais il aurait fallu réfléchir à une véritable mise en perspective de son œuvre, Michèle Placido…), de films dispensables (j’aime bien Mireille Darc mais quel est l’intérêt de montrer des films diffusés 750 fois à la télé comme Les barbouzes ou Le grand blond avec une chaussure noire ?) ou de rétrospectives ni faites ni à faire (cette fausse bonne initiative autour de « Hong Kong polars » qui s’est limitée à la projection en catimini de cinq films, notamment The mission de To et Time and Tide de Tsui Hark).
Réduire le volume des films projetés et se concentrer sur une vraie rétrospective, un panorama plus fouillé de certains aspects d’un des genres les plus riches qui soit me semblerait beaucoup plus profitable et donnerait une meilleure « lisibilité » à ce festival.
Difficile de juger ensuite les deux compétitions puisque je n’ai vu que deux films de chaque. Il semblerait néanmoins que le niveau fut de bonne tenue et le thriller coréen distingué par le jury de Wargnier The man from nowhere (Lee Jeong-Beom) a vraiment fait l’unanimité chez les spectateurs beaunois.
Je l’ai bien entendu manqué mais j’ai pu découvrir un autre film coréen intitulé The unjust (Ryoo Seung-Wan) (compétition « sang neuf ») où la police semble débordée par une série de crimes et lance sur l’enquête un inspecteur (Choi) aux pratiques douteuses. Le scénario est alambiqué à souhait (trahisons et manipulations sont de mises tandis que s’affrontent toute sorte d’individus : flics, procureurs, PDG de grandes entreprises, mafieux…). La réalisation est efficace et on se laisse volontiers prendre dans les fils de la narration dans un premier temps. Sauf que le film est beaucoup trop long et que les incessants rebondissements de l’affaire (qui lorgne parfois du côté de L’invraisemblable vérité de Lang, toutes proportions gardées) finissent par lasser. Ce qui déçoit le plus dans ce film, c’est surtout cette espèce de formatage de la mise en scène du cinéma policier et d’action devenu désormais la norme de Séoul à Kinshasa en passant par Montréal et Hong-Kong.
Même lorsqu’ils ont un sujet intéressant, les cinéastes peinent à imprimer un véritable style et se soumettent à cette nouvelle norme mondiale d’une mise en scène qui se réduit souvent à des tics hérités de Scorsese, John Woo et la série des Jason Bourne (montage épileptique, surenchère dans la violence…).
Le cinéaste congolais Djo Tunda Wa Munga n’évite pas cet écueil avec son Viva Riva ! Le sujet était pourtant intéressant puisqu’on voit un dénommé Riva revenir à Kinshasa de l’argent plein les poches après avoir rapporté un chargement de bidons d’essence à vendre dans une ville en pleine pénurie. Sauf qu’il a à ses trousses les malfrats angolais qu’il a entourloupés et qu’il va devoir se mesurer à un autre petit bandit local à qui il a chipé sa fiancée. Encore une fois, cette histoire de gangsters scorsesiens au Congo avait de quoi séduire d’autant plus que Djo Tunda Wa Munga filme plutôt bien l’ambiance de la ville, entre misère, pénurie de tout et quête de plaisirs factices. Dommage qu’il croit nécessaire d’adopter le langage cinématographique le plus standardisé pour nous infliger quelques scènes de sexe horriblement mal filmées, quelques visions clippeuses de contorsions dans des boites de nuit et une violence qui aurait gagné à être davantage suggérée.
Côté compétition officielle, les films m’ont paru un peu plus réussis. The insider (Dante Lam) est un thriller chinois (de Hong Kong) qui ne se démarque pas réellement du film d’action asiatique tel qu’on le connaît depuis une quinzaine d’années (Woo, Tsui Hark, To, Mak et Lau…). Dante Lam ne nous épargne ni les ralentis, ni le côté très « graphique » de ces mises en scène aussi efficaces que tape-à-l’œil (jump-cut, ralentis…). On lui reprochera de surenchérir un peu trop dans la violence (le long final est un peu pénible et le montage est tellement haché qu’on n’y voit presque plus rien). Pourtant, malgré ces quelques réserves et même si le film est loin d’être un chef-d’œuvre, on sait gré au cinéaste de tenter de donner un peu d’épaisseur à ses personnages. Le film est essentiellement axé sur les rapports entre un flic et les indics qu’il envoie au front, au risque de les exposer aux plus grands dangers. Dante Lam parvient à nous mettre dans la peau de ce policier partagé entre son sens du devoir et une certaine culpabilité, notamment après qu’un de ses fidèles collaborateurs se soit fait violemment charcuter. C’est également pour donner plus de « pâte humaine » à son film que le réalisateur lorgne parfois du côté du mélodrame (un poil appuyé, convenons-en) en développant également les sentiments que les deux personnages principaux manifestent à l’égard des femmes (le flic et son épouse, l’indic et sa sœur…). Lorsque le film se termine sur une chanson chinoise, nous sommes presque du côté du romantisme mélancolique d’un Wong Kar-Waï.
Le film le plus original que j’ai pu voir (mais je le répète, je n’ai quasiment rien vu) fut Good neighbours de Jacob Tierney. Ce film canadien ne s’inscrit pas vraiment dans le genre « policier » (d’ailleurs difficile à circonscrire) même si l’ombre d’un tueur en série rode du côté de l’immeuble que partagent les trois personnages principaux : Louise, Spencer et Victor. Il s’agit avant tout d’une comédie très noire (adapté du roman Chère voisine de Chrystine Brouillet) qui ne cesse de changer de direction. Car pour être honnête, le spectateur comprend au bout de deux minutes qui est le tueur. Et si le cinéaste donne assez rapidement les clés de ce mystère, c’est pour mieux nous entraîner dans une autre machination que savoureront tous les férus d’humour noir (je n’en dis pas plus, même si je ne suis pas certain que le film soit un jour distribué en France !). L’exercice n’est sans doute pas inoubliable mais il est interprété par un trio d’acteurs épatants (j’adore la comédienne Emily Hampshire), soutenu par des guest stars très branchés (Xavier Dolan tient un rôle secondaire d’ami homosexuel).
Le résultat est plutôt plaisant…