Retour à Eurociné
Nathalie, l’amour s’éveille (1968) de Pierre Chevalier avec Annie Talbot, Daniel Bellus
Pigalle, carrefour des illusions (1973) de Pierre Chevalier avec Evelyne Scott, Alice Arno
Avortement clandestin (1973) de Pierre Chevalier avec Mireille Dargent, Alice Arno, Daniel Bellus
Paris porno (1975) de Marius Lesoeur et Jacques Orth avec Daniel Darnault, Marlène Miller, Roger Darton
Internet est décidément une merveilleuse invention ! A l’origine de cette note, un commentaire anodin que nous laissâmes un jour de désoeuvrement sur l’indispensable blog de Christophe Bier en nous lamentant de n’avoir jamais vu un film évoqué alors par l’auteur des Nains au cinéma. Quelques jours plus tard, je reçois un mail d’un internaute qui me propose gracieusement de me graver une copie dudit film (Nathalie, l’amour s’éveille) et d’y ajouter trois autres productions « Eurociné ». Et c’est ainsi que je vais avoir une nouvelle occasion d’évoquer pour vous cette fabuleuse société de production reprise en main par le pittoresque Marius Lesoeur à la fin des années 50 (pour mémoire, ma première note sur « Eurociné » se trouve ici).
Les trois premiers films du lot sont signés Pierre Chevalier, grand artisan du cinéma Z qui mérite un petit hommage.
Né en 1915, il suit la filière classique des réalisateurs français d’après-guerre en commençant comme assistant (notamment pour Marcel Carné – La Marie du port- et surtout Henri Verneuil – Le fruit défendu, Le mouton à cinq pattes et quelques autres) avant de débuter à la réalisation en faisant tourner Louis de Funès dans Les impures (1954).
Pendant 10 ans, Chevalier va se spécialiser dans ce « cinéma du samedi soir » aujourd’hui malheureusement bien oublié (dans leurs histoires du cinéma français respectives, Frodon ne prend même pas la peine de citer le cinéaste tandis qu’il est évoqué très rapidement chez Siclier). Il fera pourtant tourner de nombreuses vedettes comme Eddie Constantine (Vous pigez ?), Fernandel (Le bon roi Dagobert), Michel Serrault, Jean Poiret, Philippe Noiret et beaucoup d’autres. Il reste surtout dans les mémoires comme l’un des réalisateurs attitrés (avec Guy Lefranc) des films tournés avec Fernand Reynaud (Fernand clochard, Le sicilien, Auguste etc.).
On sait que ce « cinéma de papa » ne résista pas aux coups de boutoirs de la Nouvelle Vague et c’est ainsi que l’on retrouve Pierre Chevalier chez Eurociné, notre bien-aimée firme spécialisée dans le cinéma d’exploitation le plus fauché, dont il va devenir l’un des fers de lance en tournant une bonne dizaine de films sous divers pseudonymes plus ou moins transparents (Peter Knight, Lina Calvacanti…). Pour ma part, je me souviens d’un nanar érotique sans intérêt (Des hommes de joie) et du splendouillet Orloff et l’homme invisible (dont les hallucinants dialogues restent encore en mémoire, ainsi que l’hilarante scène de viol d’une pauvre jeune fille par un…homme invisible !).
L’intérêt des trois œuvres de Chevalier qui nous occupent aujourd’hui est qu’elles offrent un panel assez représentatif de diverses déclinaisons de la « sexploitation ».
Nathalie, l’amour s’éveille, par exemple, est l’un des rares exemples d’hygiene picture à la française. Les Hygiene picutures peuvent être considérés comme des versions dégénérées des educational films, films d’éducation sexuelle prenant très au sérieux leur mission informative et pédagogique (par exemple, en 1941, John Ford réalise pour l’US Army un court-métrage intitulé Sex hygiene « afin d’expliquer aux troufions, par le biais d’une petite fiction (l’histoire d’un « béret vert » se faisant plomber dans un bordel) comment se prémunir contre la chtouille » (JP. Bouyxou. Une encyclopédie du nu au cinéma) ).
Relevant avant tout du cinéma d’exploitation, les hygiene pictures utilisèrent ces messages préventifs (souvent fort moralisateurs) comme autant d’alibis permettant de refourguer aux spectateurs quelques nudités. Bouyxou souligne d’ailleurs qu’ils furent longtemps « les seuls films où étaient visibles des organes génitaux féminins et masculins ». Le genre devint vite une spécialité allemande et je suis certain que de nombreux gredins (dont je fais partie !) aimeraient beaucoup avoir l’occasion de découvrir la série des Helga ou autres teutonneries aux titres gloupitants (Ta femme cette inconnue ; Cybelle ou Comment le dire à ma fille, Techniques de l’amour physique ou encore la série des Schulmädchen-Report).
Pratiquement pas représenté par le cinéma français, le genre va néanmoins permettre à Eurociné de donner naissance à deux fleurons : Nathalie, l’amour s’éveille de Pierre Chevalier qui sera suivi l’année suivante d’un Nathalie après l’amour signé de Boris Szulzinger (futur coréalisateur, avec Picha, de Tarzoon, la honte de la jungle)
Nathalie, l’amour s’éveille débute comme une chronique champêtre. De jeunes gens veulent fêter l’obtention de le leur bac et décident de passer 24 heures à la campagne. La première partie du film est tellement pauvre cinématographiquement parlant que le cinéaste est obligé d’avoir recours à une voix-off omniprésente dont le ton rappelle un peu les speakers de l’ORTF (« Il faut d’abord édifier un mur pour séparer les filles des garçons » nous renseigne la voix lorsque notre bande s’apprête à coucher dans un grenier plein de paille).
Cette partie bucolique introductive ne semble avoir été conçue que pour montrer quelques donzelles en soutien-gorge et culotte de coton. Mais c’est surtout sur le chemin du retour que les choses se gâtent : Elsa est obligée de faire de l’auto-stop et se laisse séduire par un jeune homme beau et riche (« La recette du bonheur : une voiture blanche et le charme d’une auto-stoppeuse » souligne élégamment la voix-off !). Celui-ci va l’inviter à une soirée hippie (attention danger !) et la malheureuse se retrouve enceinte après avoir fréquenté ce lieu de perdition.
C’est là qu’après quelques tergiversations psychologiques languissantes arrive la partie « éducative » du film. Grâce à l’aide de sa petite sœur Nathalie, Elsa parvient à s’opposer à l’autorité rigide et à la morale rétrograde de son père pour faire connaissance avec un docteur austère et progressiste (Marcel Charvey, qui tiendra le même rôle dans Avortement clandestin) qui va initier les deux donzelles aux mystères de la procréation. Outre la caution « scientifique » du film qui nous offre un exposé rasoir comme un article du code pénal sur l’ovulation et le mystère des « cycles féminins » (avec schémas à l’appui), nous aurons droit à un petit documentaire en couleur sur… un accouchement en gros plan (on imagine que ce passage devait représenter le « moment choc » du métrage).
L’aspect « éducatif » est assez rigolboche mais, curieusement, le film n’est pas aussi réac qu’on aurait pu le craindre (notamment lorsqu’on voit la manière dont Chevalier dépeint les « hippies »). A sa manière, il milite pour une meilleure éducation sexuelle et pour le droit à la contraception tout en fustigeant la morale dominante (phallocrate et rétrograde). Une vraie curiosité, donc.
Pigalle, carrefour des illusions est à la croisée de deux sous-genres. L’histoire de cette strip-teaseuse mêlée à un trafic de microfilms renvoie d’une part à toute une tradition de polars évoluant dans les lieux « chauds » de Paris (du Brigade des mœurs de Maurice Boutel à La môme Pigalle d’Alfred Rode en passant par quelques nanars signés Maurice Cloche ou Henry Lepage) ; d’autre part, le film de Chevalier s’inscrit également (même si c’est un peu capillotracté !) dans la lignée des films de music-hall prétexte à montrer quelques numéros de strip-tease (Paris Erotika de José Bénazéraf, Les strip-teaseuses de Jean-Claude Roy, le mythique Eve et les bonnes pommes de Claude Walter alias Claude Sendron qui joue dans Pigalle, carrefour des illusions le rôle d’un micheton face à la divine Alice Arno).
Le film est tellement mal fichu qu’il confine au pur amateurisme. Pour ma part, je reprendrais volontiers à mon compte les mots de Frédéric Thibaut (Cinérotica n°3. Décembre 2008) : « Héroïne gauche et vulgaire, faux raccords en pagaille, strips miteux piqués à un mondo (Paris inconnu), le film de Peter Knight (alias Pierre Chevalier) élève le misérabilisme au rang d’art. Bref, c’est génialement nullissime et jouissivement grandiose. »
Marque imparable des productions Eurociné, la narration (pourtant déjà assez confuse) est effectivement interrompue par des « stock-shots » (images empruntées à d’autres films). Sauf que ces numéros de music-hall s’avèrent souvent mieux tournés et montés que les images bien raplapla de Chevalier !
De tout le lot, Avortement clandestin est certainement le plus réussi des films (le moins mauvais serait sans doute une expression plus exacte). Cette fois-ci, Pierre Chevalier surfe sur les vagues de l’actualité et fait référence au procès de Bobigny où furent jugées, fin 1972, cinq jeunes femmes qui avaient avorté (dont une mineure après un viol).
Le film relate quasiment la même histoire : une jeune femme mineure se faisant violer en rentrant de son travail et qui va tenter d’avorter avec l’aide d’une mère élevant seule (en HLM) ses trois enfants.
Une petite curiosité à souligner : l’ami de Sophie, l’héroïne du film, est Jacques (Daniel Bellus), le frère d’Elsa dans Nathalie l’amour s’éveille. C’est lui qui parlera du cas de sa sœur (contrainte elle aussi à avoir un enfant après un viol) et qui présentera la jeune femme à sa mère et au docteur qui fit la leçon à Nathalie et sa sœur (on retrouve les mêmes comédiens).
Cinématographiquement, le film s’avère mieux fichu qu’à l’ordinaire et Pierre Chevalier parvient même à offrir une vision presque convaincante de la misérable existence de pauvres gens dans une HLM de Sarcelles (on se croirait parfois presque chez le Brisseau de La vie comme ça). D’autre part, le propos est progressiste et éminemment sympathique puisque le cinéaste se place du côté des femmes et souligne avec justesse la profonde injustice d’une loi parfaitement rétrograde (à l’époque, l’avortement était déjà dépénalisé en Angleterre et d’autres pays). Quelques images documentaires d’une manifestation pro légalisation achève d’inscrire le film dans son époque (Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi – qui défendait les inculpées- firent du Procès de Bobigny une tribune politique et l’on peut voir dans cette affaire le début de l’abrogation d’une législation totalement dépassée).
Bien sûr, Pierre Chevalier ne fait pas toujours dans la dentelle et son opposition entre les fils de riches qui violent de pauvres petites employées n’est pas toujours d’une grande finesse. On passera également sur un final très grandiloquent (les gros plans sur la bouche du procureur qui accentuent une affreuse verrue qu’il a sous la lèvre). D’une certaine manière, ce « mélodrame social » s’inscrit lui aussi dans la tradition des mélos nanardeux et édifiants d’un Jean Gourguet sauf que l’auteur des Premiers outrages était extrêmement réac alors que Chevalier parvient à ne pas être (trop) racoleur (le viol est traité de manière assez sobre) et qu’il ne cherche pas à jouer sur les deux tableaux (émoustiller le spectateur tout en faisant mine de s’offusquer de ce qu’il montre). Ca n’est déjà pas si mal !
Comme son nom l’indique, Paris porno se déroule à Paris et c’est un porno. Un couple de provinciaux arrive à Paris (Daniel Darnault joue son rôle à la Jean Lefebvre dans Un idiot à Paris mais parvient à être encore plus cabotin !) et se fait alpaguer par un type qui va leur faire connaître tout le « Paris interdit » (sex-shop, théâtres érotiques, cinéma porno…).
Le film ne présenterait pas le moindre intérêt s’il n’était assez symptomatique de la « méthode Eurociné ». Réalisé par le boss lui-même (Marius Lesoeur), le film se contente d’utiliser sa trame narrative assez basique pour refourguer une série de scènes pornographiques piquées à droite et à gauche. N’étant malheureusement pas un grand spécialiste du genre (j’espère que Christophe Bier nous apportera quelques précisions au sujet de ce film), je suis bien incapable de vous dire de quelles œuvres proviennent tous ces stock-shots improbables (une affiche laisse supposer que nous voyons des extraits des Baiseuses (1974) de Guy Gibert, ce qui expliquerait pourquoi Jack Orth est crédité comme coréalisateur de Paris porno sur IMDB puisque c’est à lui qu’on doit les séquences hard additionnelles des Baiseuses- prenez des notes, je vous prie).
Que dire autrement sinon qu’il s’agit du degré zéro du cinéma (une scène de spectacle pornographique est tournée entièrement depuis une place de spectateur et seul le zoom permet de « découper » un peu la séquence) même si le résultat n’est pas antipathique du tout (la rigueur janséniste de ses plans frontaux antédiluviens nous consolent de la pornographique lyophilisée actuelle) ? Pas grand-chose si ce n’est qu’il réserve une petite surprise qui nous a beaucoup réjouit : lors de la traditionnelle partouze finale, on aperçoit un court instant un figurant (tout habillé) qui n’est autre que l’ami… Jean-Pierre Bouyxou !
Pour cette mini apparition, et parce que les pornos furent finalement assez rares chez Eurociné, le film mérite le coup d’œil…
PS : Un des grands plaisirs que permet la découverte de ces films est de retrouver toutes les silhouettes géniales qui hantent les productions Eurociné : que ce soit les délicieuses muses (Alice Arno, une habituée des films de Franco) ou de fabuleux "seconds rôles" comme Olivier Mathot ou Roger Darton.
PS 2: Je remercie bien évidemment une fois de plus le généreux internaute qui m’a offert ces antiques curiosités.
PS 3 : Un complément érudit chez Christophe Bier