La pointe courte (1955) d’Agnès Varda avec Philippe Noiret, Sylvia Monfort

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Les histoires du cinéma se plaisent à faire de La pointe courte l’un des films précurseurs de la Nouvelle Vague. Contrairement à ses petits camarades qui débutèrent par le biais du court-métrage, Agnès Varda signa immédiatement un premier long-métrage témoignant à certains égards d’une véritable innovation cinématographique.

La cinéaste mène ici deux récits de front : d’un côté, l’analyse psychologique d’un couple en train de se défaire, avec dans les rôles principaux un tout jeune Philippe Noiret et la diaphane Sylvia Monfort ; de l’autre, une description quasi-documentaire de « la pointe courte », quartier populaire de Sète dont l’homme est originaire et où il a décidé de revenir…

Pour ma part, je trouve que le plus intéressant est cet aspect « documentaire » du film même si Agnès Varda a la mauvaise idée de faire « jouer » les habitants du coin et qu’ils sont mauvais comme des cochons. Mais lorsqu’elle se contente de filmer des joutes navales ou les pécheurs effectuant les gestes quotidiens de leur métier, la cinéaste parvient à éveiller un peu l’attention.

Parallèlement à cette vision panoramique d’un quartier populaire dont Varda sait tirer quelques plans à la frontière de l’insolite (la caméra qui s’engouffre dans des rues décorées par le linge qui sèche), la cinéaste tente également de nous intéresser à l’histoire de son couple.

Et là, il faut bien avouer que c’est assez raté.

Certes, on note ça et là quelques cadrages originaux (avant Bergman, Varda filme frontalement le profil de Sylvia Monfort qui se superpose sur le visage de Noiret en donnant l’impression ainsi de composer un visage hybride des deux individus), des points de montage assez audacieux (il faut dire que ce n’est pas un manchot qui a assuré cet aspect du film puisqu’il s’agit d’Alain Resnais !) mais l’ensemble est d’une raideur et d’une maladresse qui finit par ennuyer très rapidement. Le texte, très littéraire, est dit de manière assez neutre et annonce ce que fera, mais avec ô combien plus de grâce ! Alain Resnais dans ses premiers longs-métrages (Hiroshima mon amour, L’année dernière à Marienbad). Dans la pointe courte, on n’évite jamais la grosse artillerie de la psychologie mâtinée d’un peu de cet existentialisme très à la mode à cette époque.

Mais le plus grave, c’est l’incapacité qu’a Agnès Varda de « lier » cette histoire intimiste avec l’arrière-plan qu’elle entend décrire. Du coup, on a réellement l’impression de voir deux films différents, qui jamais ne communiquent. Un sentiment de grande artificialité se dégage alors de l’œuvre : artificialité de cette histoire d’amour jouée comme au TNP (d’où sont issus Noiret et Montfort), artificialité de certaines situations « scénarisées » chez les gens du quartier (ce père bourru qui refuse que sa fille de 16 ans fréquente les garçons) et surtout artificialité des articulations entre ces deux univers qui cohabitent sans se mêler réellement.   

Le résultat, malgré quelques passages un peu plus réussis, m’a paru très raide et peu inspiré. On est loin de la grâce et de la légèreté qu’auront la plupart des films tournés au début des années 60 quand déferlera cette fameuse Nouvelle Vague.

Grâce qui d’ailleurs n’épargnera pas Agnès Varda (et c’est tant mieux) lorsqu’elle tournera le superbe Cléo de 5 à 7, premier grand film d’une filmographie qui en comptera de nombreux malgré ce premier essai manqué…

 

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