Burgundia II (2007-2008) de Gérard Courant

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Plutôt que de faire de longues phrases pour définir ce que sont les « Carnets filmés » de Gérard Courant, contentons-nous de la présentation succincte qui ouvre chaque film de cette série :

 

« Commencés dans les années 70, les Carnets filmés de Gérard Courant sont des archives cinématographiques qui regroupent toutes sortes d’éléments épars : notes, croquis, esquisses, repérages, reportages, voire rushes ou films inachevés rassemblés, ici, pour former un ensemble proche de l’esprit d’un journal en littérature. »

 

Tourné avec un téléphone portable, Burgundia retrace un voyage en Bourgogne qu’effectua Courant à la fin de l’année 2007. Burgundia II est une autre version de ce carnet filmé puisque le cinéaste l’a, dans un premier temps, « compressé » pour en faire un film de trois minutes puis l’a « décompressé » pour revenir à sa durée initiale (1heure 2 minutes) ; opération qui a modifié le rythme de l’œuvre en donnant la sensation d’une décomposition du mouvement des images.

Lorsque Courant commence par filmer une rue d’Avallon (dans l’Yonne) de la même manière qu’il filmera Dijon dans Promenade dans les lieux de mon enfance dijonnaise (mêmes images en négatif), j’avoue avoir eu un peu peur d’un effet de saturation. Et pourtant, au bout de quelques minutes, j’étais totalement sous le charme de ces images semblant sortir d’un film de science-fiction (plutôt Alphaville que Lucas, nous sommes d’accord !) et envoûté par le rythme très particulier de l’œuvre et l’accompagnement musical d’Elisa Point. 

Si Courant avait été dessinateur, Burgundia II serait une sorte de carnet de croquis pris sur le vif, des dessins crayonnés le temps du voyage : après Avallon, nous voilà sur la route qui mène de Paris à Dijon. Le cinéaste retrouve ensuite la capitale des ducs de Bourgogne (qu’il ne filme pas, cette fois, en un unique plan-séquence), les bords du lac Kir et la campagne qui borde la ville.

Pour qualifier ses carnets filmés, Courant parle d’ « archives cinématographiques ». Là encore (au risque de me répéter), son geste renvoie aux origines du cinématographe et il y a chez lui une capacité d’émerveillement qui le pousse à tout filmer : des enseignes dans les rues dijonnaises (avec des associations facétieuses, notamment lorsqu’un Caractère d’homme succède à Women secrets), des branches d’arbres ployant sous la neige (certains courts passages ne sont pas en négatif), une route et la campagne française qui deviennent grâce au procédé du « négatif » des paysages lunaires assez fascinants ou ce qu’Alain Paucard définit comme « d’époustouflants tableaux pré-impressionnistes ».

Mais Courant ne se contente pas « d’enregistrer » les choses qui se présentent à ses yeux et c’est sans doute ça qui fascine le plus dans son cinéma. Ce que ces dispositifs pourraient avoir de « plats » (le sempiternel refrain du « tout le monde peut le faire ») sont transcendés par la manière dont il parvient à lester ses images de réminiscences intimes (d’où cette désignation de « journal »).

Lorsqu’il arrive à Dijon, le cinéaste nous apprend qu’il a autant haï cette ville qu’il l’a aimée (c’est un sentiment que doivent connaître beaucoup de dijonnais !). Avant de commencer à nous montrer les plans qu’il a tournés ici, il nous présente un extrait de The nutty professor de Jerry Lewis qui illustre parfaitement l’ambivalence des sentiments de Courant pour cette ville. Il s’agit d’un détail mais toute son œuvre est marquée par cette volonté d’inscrire de l’intime dans ce qui se présente comme un simple enregistrement du « Réel ».

On constatera, encore, dans Burgundia II, la quasi-absence d’êtres humains, comme si le monde s’était dépeuplé et que n’existaient plus que des villes de fantômes (c’est ainsi que sont titrés certains de ses carnets filmés dont je vous reparlerai à l’occasion). Il ne reste alors plus qu’un  monde rendu à sa beauté originelle et un cinéaste, accompagné par les accords mélancoliques d’Elisa Point, qui cherche à en fixer quelques traces pour l’éternité…

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