Mille soleils (2013) de Mati Diop avec Magaye Niang

 

Enpasmal.jpg 1973, Djibril Diop Mambety réalise un des films-phares du cinéma africain : Touki Bouki (Le voyage de la hyène) où l'on voit un jeune homme et son amie tenter par tous les moyens de quitter Dakar et se rendre à Paris.

La nièce du cinéaste (aujourd'hui disparu) décide, 40 ans plus tard, de retourner à Dakar et de repartir sur les traces du comédien Magaye Niang qui, comme dans Touki Bouki, n'a jamais quitté la ville. Comme le disait en substance Serge Daney, le cinéma est un moyen de donner des nouvelles du monde. Pour Mati Diop, cinéaste française mais dont le père est sénégalais, il s'agit à la fois de retourner à Dakar pour renouer avec cette histoire familiale tout en gardant cette conscience qu'il y a entre elle et le monde un écran et un film mythique.

Mille soleils ne sera donc ni un documentaire même si le Réel est partout présent (une présentation publique de Touki Bouki en présence de Magaye Niang sert un peu de fil directeur au film), ni une véritable fiction même si la cinéaste fait basculer son film du côté de la fable avec une très belle séquence en Alaska qui lui permet de renouer avec le côté onirique et fantasmatique de Touki Bouki.

 

Mati Diop commence par renouer avec Touki Bouki en filmant une scène similaire (un jeune homme conduit un troupeau de zébus vers les abattoirs) dans un magnifique 35 mm. Mille soleils sera ensuite tourné en vidéo et s'attardera sur la personnalité de Magaye Niang, houspillé par sa femme parce qu'il porte des haillons et des santiags et se préparant à aller revoir le film de Diop Mambety. La trajectoire de cet homme évoque un peu un western. Outre son accoutrement, il y aura la fameuse ritournelle du Train sifflera trois fois et une sorte de « réapparition » d'un fantôme qui n'a jamais quitté sa ville. En croisant des enfants qui ne le reconnaissent pas à l'écran (le temps a passé) ou en débattant avec un jeune chauffeur de taxi qui remet en cause la génération de 68 ; Magaye prend conscience de l'évolution du monde et d'une société. A travers ces scènes, Mati Diop interroge son roman familial mais également sa place de cinéaste par rapport à cette histoire. Car dans Touki Bouki se lisent les aspirations à un cinéma « national », libéré du colonialisme (la désopilante scène sur le bateau où de vieux colons qualifient les africains de « grands enfants ») et à la naissance d'un véritable cinéma africain et sénégalais ancré dans une culture ancestrale (le côté « griot » du film) et happé par la modernité.

Que reste-t-il de cette utopie d'un cinéma africain libéré et indépendant ? Pas grand-chose et la beauté du film de Mati Diop tient également à cette manière d'aller rechercher les poussières de cette utopie, de reprendre l'histoire où elle s'était arrêtée pour la poursuivre en renouant avec ses racines.

Le film parle également de jolie manière de l'exil et de ceux qui sont restés « au pays ». Un des moments les plus étonnants est sans doute cet appel téléphonique où Magaye retrouve, 40 ans après, la comédienne qui incarnait sa compagne dans Touki Bouki. Celle-ci est partie en Alaska où elle est devenue... agent de sécurité sur une plate-forme pétrolière ! C'est cette nouvelle qui provoquera les belles scènes fantasmées autour de l'Alaska, rimes poétiques avec l’œuvre originelle.

 

Mille soleils est un très joli film mais les éloges qu'il a suscités sont peut-être un peu disproportionnés. On n'évite pas, parfois, les scories de ce genre de films très pensés (Cf. dans un tout autre genre, on pense à Pierre Creton pour l'interrogation « minimaliste » autour du roman familial) et parfois à la limite de la pose (ce long flou au moment où Magaye monte sur la scène après la projection du film). Ce « culte » de l'image « sale » commence à devenir un peu la tarte à la crème d'un certain jeune cinéma français et c'est dommage car Mati Diop a un indéniable talent de metteur en scène (la séquence en Alaska le prouve, tout comme l'ouverture du film).

 

Cette réserve posée, on suivra avec beaucoup d'attention la suite d'une carrière placée sous les meilleures auspices...

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