Seul contre tous
Douze hommes en colère (1957) de Sidney Lumet avec Henry Fonda
Le film de procès est un genre en soi aux États-Unis, pour le meilleur (le merveilleux Autopsie d'un meurtre d'Otto Preminger) ou pour le pire (jetons un voile pudique sur de nombreux titres et contentons nous de nous souvenir à quel point la partie « procès » affaiblissait le beau Minuit dans le jardin du Bien et du Mal d'Eastwood).
Douze hommes en colère fait souvent office de référence en la matière lorsqu'on évoque ce genre. Pourtant, à bien y regarder, le film se distingue des classiques œuvres de prétoires dans la mesure où il ne montre rien du procès à proprement parler mais se contente d'enregistrer la parole des jurés appelés à statuer sur le sort d'un jeune homme condamné pour avoir, dit-on, poignardé son père.
Les enjeux sont simples : si l'accusé est déclaré coupable à l'unanimité, il est condamné à mort.
Douze hommes en colère est un huis-clos mené tambour battant et qui respecte à la lettre les trois unités du théâtre classique : unité de lieu (on ne sortira pas de cette salle si ce n'est à la toute fin du film), unité d'action et unité de temps. La force du film provient, avant tout, de la manière dont Lumet parvient à éviter l'écueil du théâtre filmé et de la plate illustration de longs dialogues. Sa mise en scène est constamment inventive et le spectateur pourra admirer la manière dont il parvient à jouer avec toutes les échelles de plan dans un lieu si exigu. La caméra est souvent mobile et Lumet trouve généralement des solutions de mise en scène pour ne pas être terne ou répétitif. Prenons, par exemple, les scènes récurrentes de scrutin. Le premier vote a lieu à main levée et c'est un plan d'ensemble qui permet de voir les forces en présence : ceux qui sont persuadés que le jeune homme est coupable et les plus timorés qui suivent, parfois timidement, la majorité. Deuxième vote : scrutin à bulletin secret avec une scène presque « bressonienne » où Lumet filme les bouts de papiers fermés qui circulent de mains en mains. Troisième vote : découpage plus classique en gros plans sur les visages qui expriment leur conviction. Tout le film est à cette image : le cinéaste varie sans arrêt ses axes afin de rendre vivant son récit et de s'approcher au plus près de la psychologie des personnages.
Après la forme, il convient d'aborder le « fond » du film. On sait que Lumet fait partie de ces cinéastes engagés « à gauche » et qu'il utilise parfois le cinéma à des fins didactiques. On ne va pas lui reprocher ses opinions (on peut même le féliciter d'avoir démontré l'horreur de la peine de mort en...1957) mais on peut parfois lui reprocher une certaine lourdeur démonstrative. Et Douze hommes en colère n'échappe pas toujours à ce reproche.
Henry Fonda (qui produisit le film) est, ici, la voix du cinéaste. C'est l'homme qui, seul contre tous, va faire pencher la balance de l'autre côté en introduisant une notion importante : le doute. Le côté un peu trop « droit » de Fonda, opposé aux jurés avides de vengeance et de loi du Talion est sans doute un peu schématique. Ceci dit, certains arguments avancés entrent en parfaites résonances avec de stériles débats actuels, que l'on songe à cet homme qui estime que les gosses ne sont plus assez bien éduqués, que l'autorité se perd et qu'il n'y a plus de jeunesse. Ou encore ce xénophobe qui estime qu'on ne peut pas faire confiance « à ces gens-là » et qu'ils sont tous des menteurs et meurtriers en puissance. Même dans les discours les plus caricaturaux, il y a donc une certaine part de vérité. Ce n'est pas ce que l'on peut reprocher le plus à Lumet, pas plus que les arguments un peu sirupeux qu'il met dans la bouche des défenseurs de l'accusé (le déterminisme social, la misère et la violence qui furent son quotidien...).
En revanche, on peut reprocher le côté un peu mécanique de la construction du film qui part d'un combat d'un homme contre onze et qui s'équilibre au fur et à mesure avant de s'achever par un acquittement couru d'avance. Les moyens employés par Lumet pour mettre le spectateur dans sa poche sont un peu grossiers et cousus de fil blanc puisque Fonda et ceux qui le soutiennent rejouent, en quelque sorte, le procès et parviennent à remettre en cause les témoignages pour prouver l'innocence certaine du prévenu.
D'un point de vue « sentimental », le film est très efficace et on marche volontiers. Mais il aurait été encore plus fort si, à l'instar du magnifique L’invraisemblable vérité de Fritz Lang, il avait laissé planer davantage d’ambiguïté. Même pour un « coupable », la gageure aurait été de montrer la monstruosité ontologique de la peine de mort et le résultat aurait sans doute été encore plus fort.
Lumet y parvient certes mais avec des moyens un peu trop « faciles ». C'est la limite de ses Douze hommes en colère qui, néanmoins, reste un excellent film, bien ficelé, superbement interprété et d'une parfaite efficacité.
Ne boudons donc (pas trop) notre plaisir...