Les sévices de Dracula (1971) de John Hough avec Peter Cushing, Mary et Madeleine Collinson. (Éditions Eléphant Films). Sortie Mai 2014

 vlcsnap-2014-05-31-16h40m13s191.png

 

Après avoir réinventé les grands mythes du cinéma fantastique et redonné un coup de sang neuf salutaire au genre, la Hammer entame au début des années 70 un lent et inéluctable déclin. Michael Carreras succède à son père James à la tête de la firme et semble manifester peu d'intérêt pour cette nouvelle activité. De plus, la Hammer est désormais « dépassée » par des cinéastes qui vont plus loin dans la violence (exemplairement La nuit des morts-vivants de Romero) ou l'érotisme (notamment dans les productions espagnoles et italiennes).

Malgré cet essoufflement, la firme parvient à produire encore de superbes réussites, à l'image de ces Sévices de Dracula signé John Hough. Le titre est trompeur puisque même s'il est question de vampirisme, le personnage de Dracula brille ici par son absence. Et c'est moins à Bram Stoker que l'on songe qu'à Carmilla de Sheridan Le Fanu puisque apparaît, de manière épisodique, la fameuse comtesse Mircalla Karnstein.

 

A la mort de leurs parents, deux sœurs jumelles (les croquignolettes sœurs Collinson) débarquent dans un petit village paumé pour vivre sous la tutelle de leur oncle, un fanatique religieux de la plus belle espèce (Peter Cushing) dont le principal hobby est de traquer les sorcières et les brûler. Autant Maria reste prude et innocente, autant Frieda se sent attirer par le diabolique comte Karnstein qui l'initiera à des rituels maléfiques et au vampirisme...

 

John Hough n'est pas un cinéaste qui a laissé une grande trace dans l'histoire du cinéma. Les amateurs de fantastique connaissent son Incubus et La maison des damnés. Il a également co-réalisé une improbable version de L'île au trésor d'après Stevenson avec Orson Welles et... Jean Lefebvre (!) et tourné pour Disney (La montagne ensorcelée, Les visiteurs d'un autre monde). Sans présumer de la qualité de son œuvre que je ne connais pas, il semblerait que Les sévices de Dracula soit sa plus belle réussite.

Le scénario est assez classique mais il est quand même intéressant de noter que le personnage censé incarner la lutte contre le Mal soit un odieux inquisiteur totalement givré. Si le comte Karnstein est un être maléfique qui n'hésite pas à sacrifier de jeunes filles lors de rituels sataniques ; Gustav Weil est un fanatique hypocrite presque pire que son adversaire (même s'il a tendance à s'humaniser au cours du récit). Peter Cushing incarne avec génie (n'ayons pas peur du mot!) ce personnage austère et inquiétant. Entre ces deux pôles évoluent les girondes jumelles qui apportent un charme indéniable à l’œuvre.

Dans le supplément du film, Alain Schlockoff souligne que John Hough a pu bénéficier des décors d'une production plus prestigieuse ce qui lui a permis de soigner la direction artistique de son film et la reconstitution de son village médiéval. Comme d'habitude dans les films Hammer, les décors jouent un rôle primordial et on n'échappera à rien de ce qui fait le sel de cette épouvante gothique : orages, château dans la brume, souterrain plein de toiles d'araignées, crypte lugubre où gisent des crânes... Ces décors macabres sont parfaitement mis en valeur par la superbe photographie de Dick Bush (notons au passage que les éditions Elephant films nous proposent une très belle copie du film).

 

Si Les sévices de Dracula s'inscrit parfaitement dans la lignée de la tradition Hammer de l'horreur gothique, il est également marqué par son époque. En effet, la violence est plus accentuée et vire parfois même au « gore » (je pense à cette sanglante décapitation ou encore à l'éventration du serviteur noir). Quant à l'érotisme, même s'il reste relativement discret, il est moins suggestif que dans les films des années 60 de la maison : on aperçoit même quelques nudités, notamment le corps parfait d'une des deux sœurs (qui se rendirent célèbres pour avoir posé ensemble dans Playboy). Mais cet érotisme n'a rien de vulgaire ou de racoleur : il ne fait que prolonger une longue tradition de ce cinéma de genre qui, à l'époque (à savoir à partir de la fin des années 50) donna une dimension ouvertement sexuelle aux grands mythes du fantastique. Même s'il s'agissait alors de suggérer par métaphore et métonymie (on retrouve d'ailleurs ce goût chez Hough quand l'une des maîtresses de Karnstein empoigne délicatement une bougie!) devient un peu plus explicite en 1971. Le vampirisme fonctionne une fois de plus sur une logique transgressive de mélange des flux et des fluides. A ce titre, ce passage où le sang d'une innocente fait revenir la comtesse de Karnstein est magnifique et symbolise à merveille le goût du sous-texte sexuel, de la « perversion », du fétichisme vampirique de ce genre.

Naviguant entre la pure tradition du cinéma d'épouvante gothique -mêlant sorcellerie et vampirisme- et une certaine « modernité » ; Hough parvient à réaliser un film aussi haletant qu’envoûtant qui ne démérite pas dans la galerie des grandes réussites estampillées Hammer...

Retour à l'accueil