Go Go Tales (2007) d’Abel Ferrara avec Willem Dafoe, Matthew Modine, Bob Hoskins, Asia Argento, Lou Doillon

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Nous avions un peu perdu de vue Abel Ferrara ces dernières années. D’un point de vue purement « technique », en premier lieu, puisque Go Go Tales date déjà de 2007 et qu’aucun des quatre films qu’il a tournés ensuite n’a bénéficié d’une distribution en salles (on attend néanmoins avec impatience son 4 : 44 - Last day on Earth). Mais également d’un point de vue « artistique » puisqu’après les chefs-d’œuvre des années 90 (Bad Lieutenant, The funerals) ; le virage des années 2000 fut assez mal négocié par le cinéaste.

Si je n’ai toujours pas vu Christmas (accordons-lui le bénéfice du doute), le sulpicien Mary m’avait accablé.

A force d’avoir été systématiquement encensé par la critique, Ferrara finissait par prendre la pose de l’Auteur tourmenté et par se parodier lui-même.

Bonne nouvelle : avec Go Go Tales, Ferrara revient à ses premières amours : huis-clos (tout se passe entre les quatre murs d’une boite de strip-tease), petit budget et mise en berne de ses ambitions « auteurisantes ». Du coup, ce qu’il perd en ambition (en prétention aussi), il le gagne en énergie et renoue même avec une saine « vulgarité ». Mais à l’inverse d’un cinéaste « vulgaire » comme Verhoeven filmant vulgairement la vulgarité (Showgirls), Ferrara filme avec brio et tendresse la vulgarité de ces spectacles miteux et ringards.    

 

Pour résumer la trame du récit, il nous suffirait d’un ticket de métro (pardon, de loto…) : Ray Ruby (excellent Willem Dafoe), comédien et joueur invétéré, est également le patron d’un club, le Paradise, dont les finances sont au plus mal. Arrivera-t-il à mener sa barque à bon port ?

 

Difficile de ne pas voir dans ce film une métaphore transparente de la situation de Ferrara et de son cinéma au cœur de l’industrie cinématographique. Autour de ce « metteur en scène » aux allures de démiurge et qui voudrait également -pourquoi pas ? - changer de registre (comédiens qui récitent du Shakespeare, danse classique…), tout se délite : les financiers coupent les vannes (Matthew Modine en associé peroxydé à petit chien est assez savoureux), les filles (des comédiennes ?) menacent de se mettre en grève parce qu’elles ne sont plus payées, la propriétaire (une productrice ?) hurle qu’elle va trouver d’autres locataires et le public se fait rare…

 

Quelle place reste-t-il alors dans cet univers pour la création ? Ferrara livre un constat assez pessimiste de la situation du cinéma indépendant américain aujourd’hui mais il ne se laisse pas aller au dolorisme d’un film comme Snake eyes.

Ce qui séduit dans Go Go Tales, c’est cette énergie et cette manière qu’a le personnage principal de lutter contre les aléas économiques pour que le « spectacle continue ». Dès le premier plan, la caméra de Ferrara décrit d’élégantes volutes autour d’un Ray allongé. D’une certaine manière, tout le reste peut alors être vu comme une sorte de rêverie au cœur de ce monde de la nuit où les danseuses les plus excentriques (la magnétique Asia Argento avec son chien) cohabitent avec de vieux mafieux (Bob Hoskins) ou des cuisiniers spécialisés dans le bio. Rien ne peut s’opposer (voir une « happy end » assez peu crédible mais qui renforce le côté « conte » du film) à l’énergie et à la volonté du cinéaste même s’il la réinvente sans doute à l’aune de ses rêves.

 

La mise en scène de Ferrara traduit à merveille cette énergie qui anime Ray : sa caméra est sans cesse en mouvement et se faufile dans le club sans chercher forcément à mettre en valeur tel ou tel personnage. Ce sont moins les destinées individuelles qui intéresse le cinéaste que le mouvement collectif, cette croyance indéfectible en un projet commun.

 

Le film souffre peut-être d’être un poil trop « optimiste » dans la mesure où le cinéaste évacue toute la violence que sous-tend pourtant cet univers (d’une certaine manière, il s’agit d’une version légère du Casino de Scorsese). De plus, la trame narrative est si minime que le film peine parfois à prendre de l’ampleur et à s’élever au-dessus de l’anecdotique (la vie ne tient qu’à un string, écririons-nous si nous étions- Dieu nous en préserve !- critique à Libération !)

 

Mais encore une fois, ces quelques réserves n’enlèvent rien aux qualités d’un film qui renoue d’une certaine manière avec les « séries B » des débuts du cinéaste.

De l’énergie à revendre, une manière légère d’évoquer une certaine « grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma »… Ferrara a encore des choses à nous dire et c’est plutôt une bonne nouvelle…    

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