Un linceul n’a pas de poches (1974) de et avec Jean-Pierre Mocky et Jean Carmet, Daniel Gélin, Michel Galabru, Michel Serrault, Michel Constantin, Jean-Pierre Marielle, Myriam Mézières, Sylvia Kristel, Michael Lonsdale, Francis Blanche, Dominique Zardi

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Quelle pourrait être la « recette » d’un Mocky réussi ? Tout simplement un dosage heureux entre son sens de l’humour, sa rage et son goût pour les trognes. De ce point de vue, Un linceul n’a pas de poches fait figure de jolie réussite dans la carrière inégale mais toujours passionnante du plus anarchiste des filmeurs français.

Certes, il fait parfois preuve de sa légendaire désinvolture dans la conduite d’un récit un peu décousu et beaucoup trop long (2h10 pour un Mocky, c’est 40 minutes de trop !). Et sa mise en scène ne fait pas forcément dans la dentelle. Mais ces quelques réserves posées, le film est délicieux.

Délicieux d’abord par la rage qui s’en dégage. Jean-Pierre Mocky endosse encore une fois le rôle principal de son film et incarne à nouveau un redresseur de tort solitaire dans la lignée des personnages qu’il jouait dans Solo et L’albatros (sans doute ses deux meilleurs films). Cette fois, il endosse la défroque d’un journaliste intègre (authentique !) qui lance un nouveau canard (le « Cosmopolit ») dans le but d’exposer au grand jour les affaires crapuleuses jusqu’alors tues.

Ce point de départ va lui permettre de se lancer dans un tonitruant jeu de massacre dont personne ne sort indemne : les politiciens de tout bord, les délégués syndicaux, les notables de province, les snobs de toute sorte, la presse… Tourné en 1974, le film pourrait s’inscrire dans la lignée des « scènes de la vie de province » tournées par Chabrol, même si la charge au vitriol s’avère beaucoup plus déjantée et féroce. L’actualité s’invite même dans le récit puisque Jean-Pierre Marielle (royal avec sa veste marron fleurie immonde et son nœud papillon) incarne un chirurgien et député traditionaliste qui milite contre cette loi sur l’avortement qui allait passer l’année suivante afin de pouvoir poursuivre ses opérations chirurgicales illégales et lucratives (que trois femmes soient mortes de ses curetages sauvages ne semble pas le troubler outre mesure !).

De la même manière, les attaques que Mocky dirige contre la presse et les connivences qu’elle entretient avec le Pouvoir n’ont pas vieilli. Si Dolannes quitte son employeur, c’est parce qu’il lui reproche de se coucher devant les annonceurs et de ne pas révéler les scandales où trempent forcément politicards et notables.

Face au pouvoir de l’argent et des petits arrangements entre amis, Mocky incarne la voix de la vérité et de la révolte. Il ne s’agit pas pour autant d’un film « militant » ou d’une « fiction de gauche », le cinéaste tapant volontiers sur les communistes, l’union de la gauche, ce socialisme prêt à toutes les compromissions en s’alliant avec ses « ennemis » politiques (là encore, le film est visionnaire et annonce toute la bassesse du mitterrandisme) et sur les leaders syndicaux davantage occupés par leur bifteck que par la « cause ».

 

Ce qui a de plus sympathique dans la révolte indéfectible du cinéaste (qui n’a toujours pas baissé les armes, qu’on se souvienne de l’excellent Vidange), c’est qu’elle ne vire jamais au poujadisme dans la mesure où le « peuple » même n’est pas ménagé. S’il faut haïr la chèvre dirigeante avec le plus de vigueur possible, il ne s’agit pas de caresser dans le sens du poil le chou qui se laisse bêtement déplumer (si tant est que les choux aient des plumes !).

D’où cette galerie de trognes qu’on trouve au cœur des meilleurs films de Mocky et qui lui permet de mêler à la fois une vision satirique de l’humanité dans ce qu’elle a de plus grotesque et une certaine compassion de celui qui ne se met pas au-dessus du lot. Jamais Mocky ne place le spectateur au-dessus de ses personnages pour chercher un rire de connivence. D’ailleurs même ceux qui pourraient être les plus antipathiques (la flicaille, par exemple) sont plus nuancés qu’on pourrait le craindre (voir ce sympathique flic amateur de bons vins qu’incarne avec délectation le regretté Jean Carmet).

Le casting est d’ailleurs l’une des principales qualités du film. Qu’on en juge : Serrault et Lonsdale en notables de droite véreux, Galabru en patron de presse couard, Gélin en imprimeur qu’on fait chanter, Constantin en délégué syndical (pourquoi pas Michel Sardou en prix Nobel de physique, tant qu’on y est ?) sans parler de ces trognes familières de l’œuvre de Mocky (Zardi en petite frappe terrifiante, Jean Abeillé…).

Comme le cinéaste s’est réservé le rôle d’un séducteur invétéré qui profite de sa belle gueule pour soutirer de l’argent aux riches femmes du coin, il nous permet de contempler avec plaisir la toute jeune Myriam Mézières ainsi que Sylvia Kristel, tout juste révélée par l’immense succès d’Emmanuelle.

Saignante, croustillante et survoltée, cette charge au vitriol apparaît aujourd’hui comme une bombe lancée contre la France pompidolienne et giscardienne. Et pourtant, elle n’a malheureusement pas pris une ride et les cibles à abattre  sont toujours les mêmes…

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