Poulet aux prunes (2011) de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud avec Mathieu Amalric, Maria de Medeiros, Edouard Baer, Chiara Mastroianni, Isabella Rossellini

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Après Persépolis, Marjane Satrapi (avec la complicité de son acolyte Vincent Paronnaud) adapte une nouvelle fois à l’écran sa propre bande dessinée. Mais cette fois, elle abandonne l’animation et passe à la prise de vue réelle.

En sortant de la salle, je me suis dit que Poulet aux prunes relevait de ce type d’œuvre émolliente qu’on peine, par quelque bout qu’on les prenne, à critiquer. Un peu l’équivalent des premiers romans d’Anna Gavalda ou de L’élégance du hérisson de Barbery (Eh oui, je ne déteste pas ces livres !). Ce côté « unanimiste » pourrait avoir quelque chose d’agaçant (d’où mes quelques réserves face à Persépolis) mais pourtant, Poulet aux prunes séduit rapidement et mérite mieux que les attaques conventionnelles auxquelles il semble prêter le flanc (voir les critiques émises du côté du Monde et des décidément très prévisibles Inrocks !).


Ce que l’on pouvait redouter avec ce film, c’est un côté Amélie Poulain à la sauce iranienne, à savoir une succession de chromos nostalgiques et une esthétique de la vignette. Alors bien sûr, Satrapi fait le choix par forcément très heureux d’une photographie rétro (Ah, ces teintes jaunâtres et sombres !) mais l’artifice de son projet est toujours revendiqué et les embardées du côté d’une « poésie » un peu voyante (le flocon de neige qui tombe dans la bouche de la fille de Nasser Ali, les nuages de fumée symbolisant l’âme…) restent toujours maîtrisées. Lui faire le reproche d’opter pour un  bric-à-brac qui n’hésite d’ailleurs pas à recourir, le temps d’une petite fable, au cinéma d’animation est parfaitement injuste puisque la cinéaste donne d’emblée à son film les couleurs d’un conte (des milles et une nuits, bien sûr).

Vous allez me dire que revendiquer l’aspect totalement irréaliste du conte n’excuse rien et qu’il faut encore qu’il soit réussi. Nous allons tenter de démontrer que c’est le cas.


La grande force de Poulet aux prunes, c’est la conduite du récit. Rien de bien original, a priori, dans cette histoire d’un musicien (Mathieu Amalric) ayant perdu goût à la vie depuis que son violon a été cassé. Mais Satrapi et Paronnaud brisent immédiatement toute linéarité et se lancent dans une narration toute en circonvolutions, en volutes, en flashbacks et flashforwards (les délicieuses scènes exposant rapidement le devenir des enfants de Nasser Ali). Cette construction savante permet de dynamiser la mise en scène et de trouver un joli système de rimes visuelles (les pieds d’Irâne qui arpentent les rues de Téhéran et qui annoncent toujours les rencontres avec le musicien). De cette manière, les cinéastes parviennent à conserver l’esprit « BD » de leur projet tout en évitant l’écueil de la succession laborieuse de saynètes en intégrant parfaitement chacune d’elles dans un ensemble plus vaste et harmonieux.


Dans ce patchwork hétéroclite, on apprécie également les ruptures de ton qui permettent de faire cohabiter des passages très drôles (le fils qui veut devenir épicier et qui finit aux Etats-Unis en parfait stéréotype de « l’american way of life » : ok, c’est caricatural mais c’est hilarant) et une émotion qui n’a rien de factice. Parallèlement, les références au contexte « historique » (le rôle du frère de Nasser Ali au sein du PC) s’intègrent parfaitement à un univers onirique où l’ange de la mort prend les traits d’Edouard Baer. Cet ange est  également celui qui prend en charge le récit par sa voix-off et qui leste immédiatement le film d’une mélancolie qui ne va cesser de s’étoffer (le spectateur connait très rapidement la fin du personnage principal mais cette annonce brutale n’empêche pas de prendre un grand plaisir aux mailles enchevêtrées du récit).


Poulet aux prunes est un film qui cherche à montrer la manière dont l’art parvient à sublimer le caractère fugitif de l’amour et de la vie. Sa force, c’est de parvenir à rendre habités des situations et des personnages relevant pourtant de la fantaisie du conte. Donner un peu d’épaisseur à ces individus caractérisés dans un premier temps à gros traits (le fils arriviste, l’épouse acariâtre, le frère brillant quand Nasser Ali s’avère médiocre…) n’était pas une petite gageure. Or Satrapi s’en tire très bien en offrant à chacun d’entre eux de se « racheter » ou de montrer un visage différent (très beau moment où l’insupportable fils du héros est filmé en train de prier pour son père). Encore une fois, elle parvient à éviter le côté lisse et simpliste de la vignette insolite à la Jeunet.


Il ne s’agit pas de crier au chef-d’œuvre du siècle mais de saluer un conte délicat et sensible qui parvient à restituer à l’écran un univers de bande-dessinée avec de véritables moyens cinématographiques…

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