Made in USA (1966) de Jean-Luc Godard avec Anna Karina, Laszlo Szabo, Jean-Pierre Léaud, Yves Afonso, Marianne Faithfull, Philippe Labro

 classe.jpg

Made in USA est un film de transition dans l’œuvre de Godard qui ne recueille généralement pas les suffrages des admirateurs du cinéaste. Il faut dire que JLG le considère également comme l’un de ses plus mauvais films (Cf. son échange avec Jean-Claude Conesa dans Ensemble et séparés –Sept rendez-vous avec Jean-Luc Godard d’Alain Fleischer).

Après le point d’orgue que constitue Pierrot le fou, Made in USA marque une rupture à la fois symbolique (c’est le dernier long-métrage qu’il tournera avec Anna Karina) et esthétique puisque le propos se fait plus politique et la forme de plus en plus déstructurée.

Au départ, il s’agit d’une commande du grand producteur Georges de Beauregard qui cherche un moyen d’éponger les déficits causés par La religieuse de Rivette. Alors qu’il tourne Deux ou trois choses que je sais d’elle, Godard décide de mettre en route une adaptation d’un roman noir de Donald Westlake (alias Richard Stark) intitulé Rouge, blanc, bleu (ou Rien dans le coffre selon les éditions françaises).

Paula Nelson (Anna Karina) arrive à Atlantic City pour enquêter sur la mort mystérieuse de son fiancé Richard Politzer. Mais très vite, comme dans Le grand sommeil (ce n’est pas pour rien qu’Anna Karina porte un long imper beige à la Humphrey Bogart), le spectateur perd pied dans cette enquête qui n’en est pas une et où l’on croise de nombreux personnages aux patronymes célèbres (de l’écrivain David Goodis jusqu’à une demoiselle Mizoguchi en passant par Richard Nixon, l’inspecteur Aldrich, Donald Siegel et Richard Widmark). Godard nous prévient d’ailleurs à plusieurs reprises, via la voix-off d’Anna Karina, qu’ il s’agit d’une fiction et avant tout, d’un film politique qu’il définit de la manière suivante : un « Walt Disney avec du sang ».

Peu importe les références hollywoodiennes avec lesquelles il s’amuse (notons que le film est dédié à Ray et Fuller), il s’agit avant de détruire rageusement la narration cinématographique : des sons parasites (avions, sonneries…) viennent souvent recouvrir les dialogues, le montage privilégie le collage brutal à la fluidité du récit et jamais Godard n’a été aussi proche du « pop art » qu’avec ce film : des cartons BD avec de gros « Bing ! Bang ! Paf ! » sont insérés au cœur des séquences, les couleurs sont vives et agressives (comme toujours dans les premiers films du maître : le rouge, le jaune et le bleu), les personnages s’adressent frontalement à la caméra et commentent l’action, etc.

Le film a été tourné avant les élections législatives et l’on sent un Godard qui souhaite en découdre définitivement avec le gaullisme vieillissant en touillant dans les recoins les plus sombres des arrière-cuisines de la politique (barbouzes en tout genre, références à l’assassinat de Kennedy et à l’affaire Ben Barka…). Anna Karina affirme plusieurs fois qu’elle « hait la police » et avoue que ce milieu de la politique et de l’argent lui « donne envie de vomir ».

A un autre moment, un carton avec le mot « Liberté » est criblé de balles. Quelle solution face à cet état de fait, dans cette France partagée entre « une droite idiote à force de méchanceté » et une « gauche trop sentimentale » (anecdote piquante : c’est l’ineffable Philippe Labro qui prononce cette phrase !) ? Godard affirme sa volonté de rompre avec « l’équation périmée gauche/droite" et montre à l’écran l’inscription suivante « Gauche, année zéro » en annonçant par là un virage qui va le mener du côté des révoltés de Mai 68 et du maoïsme le plus tartignolle. On commence à voir poindre, dans Made in USA, les germes de cette autre histoire.

 

Pourtant, ce qui séduit aujourd’hui en revoyant  le film, ce ne sont peut-être pas les éléments que je viens de souligner et qui correspondent d’ailleurs à la lecture la plus « classique » de l’œuvre. Je serais tenté, pour ma part, de déceler dans Made in USA une dimension plus « secrète ».

D’une part, une volonté chez Godard  de « retrouver » Anna Karina dont il filme amoureusement le magnifique visage. De nombreuses phrases relatives au passé de Paula et Richard résonnent tel un écho à la relation du cinéaste et de sa muse et ça n’est sans doute pas un hasard si Godard prête sa voix à celle de Richard qui s’exprime par le biais d’une bande magnétique. Au-delà de l’invraisemblance de l’enquête policière, il se dégage du film une sorte de mélancolie (songeons à ce merveilleux passage où Marianne Faithfull chante a capella) où se mêlent les regrets du passé et la volonté pour le cinéaste de renouer un lien avec sa comédienne (et comment fixer un lien pour l’éternité si ce n’est par le cinéma ?).

D’autre part, il y a une dimension qu’on oublie régulièrement à propos du cinéma de Godard qui est son côté totalement farfelu voire burlesque. Je sais grâce à Jean-Luc Douin qu’il cite ici Queneau « Si je vous parle du temps, c’est qu’il n’est déjà plus. » mais il y a également des passages totalement absurdes et nonsensiques que n’aurait pas renié Lewis Carroll, comme ces dialogues totalement délirants au bar où les mots s’emballent et où la science devient pataphysique.

Made in USA s’avère au final une œuvre hybride : à la fois farfelue et mélancolique, agressive, criarde et distanciée. Un film « PO », en somme ; comme le définit assez bien la bande-annonce : POlicier, POlitique et POétique…

 

 


 
Retour à l'accueil