Cinématon 2725- 2735 (2013) de Gérard Courant

Ari Boulogne (Cinématon n°2735)

Ari Boulogne (Cinématon n°2735)

Quel est le point commun entre l’écrivain Claude Dubois (n°2727) et l’architecte d’intérieur Ani Koulakian (n°2730) ? Aucun, si ce n’est qu’ils ont été tous les deux conviés à une soirée chez Alain Paucard et qu’en tournant leurs Cinématons respectifs, ils n’ont pu s’empêcher de présenter à la caméra leur verre de vin rouge. J’ignore si ce sont les effluves de l’alcool qui ont poussé le premier à faire de son portrait un festival de grimaces et de mimiques ou s’il s’agit de sa nature extravertie !

En découvrant que Chantal Le Bobinnec (n°2725) était « modèle » et « écrivain », le spectateur s’attend à voir débarquer une fraiche et pimpante jeune femme au charme enjôleur. Or c’est une charmante mamie (89 ans !) qui apparaît et qui nous présente trois de ses livres. Visiblement mal à l’aise dans l’exercice, elle cherche à se faire comprendre en ayant recours au mime. Et c’est cette petite maladresse qui rend le film touchant dans la mesure où l’on sent que cet auteur n’a pas souvent l’occasion de présenter ses œuvres (elle est quasiment inconnue) et qu’elle a ici l’opportunité d’associer son visage à ses écrits.

Quel est le point commun entre la journaliste Catherine Gravil (n°2726) et le critique (notamment pour le site DVD.fr) Philippe Gautreau (n°2733) ? Les deux profitent de leur temps à l’écran pour lire. Dans le premier cas, il faut vraiment attendre un petit moment pour qu’un geste trouble l’impassibilité du modèle et qu’on réalise ce qu’elle est en train de faire.

Le film de la cinéaste Oriane Brun-Moschetti (n°2728) est sans doute le plus original de la fournée. Elle est placée, de dos, devant une porte et joue avec un petit miroir qui nous permet d’apercevoir son œil. Le dispositif du Cinématon est, par essence, lié au regard et il est toujours fructueux de détourner d’une manière ou d’une autre la relation filmeur/filmé. Quand elle se retourne pour se placer face caméra, Oriane Brun-Moschetti tient toujours son miroir à la main et renvoie, de temps en temps, des reflets du cinéaste en train de la filmer. D’une certaine manière, elle est parvenue à creuser une nouvelle dimension dans le film et ce jeu avec les reflets est très bien mené.

En revanche, je n’ai pas réussi à comprendre (je n’ai vraiment pas la vision 3D !) le film de Louis Daubresse (n°2729) qui semble être devant un miroir. Mais il y a dans le cadre une épaule en amorce que je n’arrive pas à identifier : est-ce celle du modèle mais alors je ne vois pas où peut être placée la caméra ? Ou est-ce celle de Courant mais, là encore, je ne parviens pas à déterminer où le cinéaste serait situé. Bref, tout cela est très perturbant !

La chanteuse et poétesse Caroline-Christa Bernard (n°2731) nous rappelle que les Cinématons tournés en plein air ont beaucoup de charme. Ici, elle chante dans une rue, sous un parapluie.

Le critique Jean-Pierre Piton (n°2732) pose devant sa bibliothèque où l’on aperçoit un énorme coffret consacré à Georges Brassens, ce qui a pour effet de nous le rendre immédiatement sympathique.

Enfin, l’étape du jour s’est terminée par la découverte de deux visages singuliers. Le premier, celui du critique de télévision Pierre Sivan (n°2734) ne présente a priori aucune particularité jusqu’au moment où il fixe la caméra et qu’on remarque un fort strabisme. Ce qui pourrait être « gênant » (pour le filmé et celui qui le regarde) ne l’est pas du tout car le temps offert par le dispositif permet justement de dépasser les apparences. Chez Courant, il n’y a aucun ostracisme et tous les physiques sont accueillis à égalité. C’est aussi ce qui fait la force du projet puisqu’il parvient à donner une vraie beauté à une « trogne » comme celle d’Ari Boulogne (n°2735).   

Si ce nom ne vous dit pas grand-chose, il est pourtant très célèbre dans la mesure où il s’agit du fils de Nico et d’Alain Delon qui ne l’a jamais reconnu. Gérard Courant le filme alors qu’il est prématurément usé et vieilli : bouche de travers, dents manquantes, corps vouté… Celui qui fut à un moment d’une beauté de gravure de mode est devenu une silhouette impressionnante à la Antonin Artaud : cigarette au bec, chevelure au vent et une voix que l’on imagine caverneuse au possible… Il se dégage quelque chose de très fort et de très humain de ce portrait d’un homme cabossé dont le destin fut tragique, révélant quelque part l’aspect dérisoire de toute existence et, en même temps, son caractère unique…

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