Cinématon 2750-2780 (2013) de Gérard Courant

Jean-Jacques Rousseau Cinématon n° 2760

Jean-Jacques Rousseau Cinématon n° 2760

Nous vous le disions la fois précédente, Gérard Courant a passé les derniers jours de l’été 2013 au Fifigrot à Toulouse et en a profité pour filmer de nombreuses personnalités. Notre bilan d’étape sera aujourd’hui thématique puisque les films peuvent être regroupés en cinq grandes catégories.

Accessoires (suite)

Une fois de plus, l’accessoire se taille la part du lion et donne au modèle filmé une petite touche personnalisée. Chez Marie Janote (n°2750), on remarque immédiatement le piercing sur la pommette gauche en forme de mouche. Cette petite touche de coquetterie sera par la suite appuyée lorsque la jeune femme sortira un pinceau pour les lèvres puis enfilera de grosses boucles d’oreilles.

Sobre et classique, le romancier Lilian Bathelot (n°2757) fume la traditionnelle cigarette du cinématoné et joue avec son chapeau.

Assez peu concerné par le film en train d’être tourné, le chanteur Murray Head (n°2763) dévore à belles dents son sandwich, risquant d’ailleurs à certains moments d’être relégué dans la catégorie des modèles « à grimaces ».

Le comédien Bernard Blancan (n°2766) nous montre le contenu de son sac en plastique. A part un mug, il s’agit surtout de livres et le spectateur devine une certaine inclination pour la science-fiction puisqu’on peut reconnaître, aux côtés d’un livre de Joyce, quelques titres de Dick ou encore Matheson (Je suis une légende).

Inoubliable dans Mammuth, la comédienne et plasticienne Candy Ming (n°2770) ne quitte pas le registre de la folie douce puisqu’elle semble ici en grande conversation muette…avec une peluche qui, de temps en temps, lui fait couler une larme.

Enfin, l’accessoire peut également être un révélateur de la profession du modèle. Ainsi, c’est avec son appareil photo que la photographe Cécile Poullet (n°2776) se livre à une étrange chorégraphie (elle se lève, se tortille devant la caméra) qui évoque une sorte de danse de la pluie.

Arrière-plan :

Je crois l’avoir déjà souligné mais le passage au numérique a un peu modifié la donne du Cinématon. En Super 8, toute l’attention était portée sur le visage de la personne filmée en gros plan et à de très rares exceptions (le beau film de Jacques Richard tourné aux abords de l’ancienne Cinémathèque de Chaillot), l’arrière-plan restait flou et n’attirait pas l’attention. En numérique, et malgré un cadre serré, la profondeur de champ acquiert une certaine importance. Prenons l’exemple de Guy Brunet (n°2751) qui se fait filmer dans une salle de cinéma vide. Tous les fauteuils se dessinent très nettement et à un moment donné, l’œil du spectateur est distrait par l’arrivée impromptue d’un individu qui entre par le fond de la salle. Le Cinématon est désormais ouvert à la distraction dans les deux sens du terme : à la fois offrir un divertissement au spectateur qui en aurait assez d’un portrait ennuyeux mais aussi le détourner de l’objet premier de l’œuvre.

Pour éviter cette dispersion, il y a la solution choisie par « l’éducastreur » Jules Celma (n°2758) qui pose torse nu sur un fond blanc et abstrait, faisant surgir dans l’esprit du spectateur attentif des réminiscences du Cinématon de Jacques Monory. Celma débute son portrait les yeux grands ouverts, les ferme très doucement avant de tirer la langue et de faire le mort.

Passons rapidement sur un arrière-plan comme les toilettes (décidément !) qui constitue la seule singularité du portrait de Frank Lubet (n°2755) et soulignons que certains utilisent le décor comme une véritable mise en scène de leurs portraits.

Vanessa Mioli (n°2777), par exemple, se sert de barreaux pour jouer une petite scène très torturée où elle semble ligotée et battue, son maquillage approximatif renforçant l’aspect très violent du film.

Quant au  bistrot et ses bouteilles de whisky, on conviendra qu’il constitue un décor idéal de « série noire » pour l’ex-patron de la mythique collection Patrick Raynal (n°2779). Nous ne sommes cependant pas suffisamment intimes avec lui pour qualifier  les paroles qu’il ne cesse de proférer (sans que nous les entendions)  de la parole d’alcoolique !

Enfin, le réalisateur de Cinéastes à tout prix Frédéric Sojcher (n°2767) s’amuse à jouer avec la valeur de cadre en approchant son œil (puis sa main) au plus près de la caméra.

Vanessa Mioli Cinématon n°2777

Vanessa Mioli Cinématon n°2777

Grimaces :

Après avoir vu près de 2800 Cinématons, je peux affirmer que si la grimace reste l’un des grands classiques du film, ce n’est pas forcément l’action qui met le plus en valeur les modèles filmés.

Le dessinateur Jiho (n°2753) a recours à ce stratagème pour une série d’« imitations ». Il inscrit sur un papier le nom d’une actrice célèbre (successivement Amanda Lear, Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart, Isabelle Adjani puis Jeanne Moreau) avant de la « représenter » en se tirant excessivement la peau ou en la fripant plus que de raison. Même si le procédé n’est pas très galant (j’aurais préféré lire les noms d’Alain Delon ou de Michael Douglas), j’avoue qu’il m’a fait sourire…

Le vénérable et retraité professeur de droit Serges Regourd (n°2759) joue comme un enfant de son visage élastique : il tire la langue, cligne des yeux tandis que l’acteur Jacques Serres (n°2762) (vu chez Tacchella) tire sa peau, tapote ses joues, fait mine de se maquiller et de tirer un poil invisible de sa moustache…

Eric Martin (n°2765), dessinateur et réalisateur de No Pasaran mime d’abord une série d’éternuements, se mouche avec un billet de banque, fouille dans son nez avant de mettre complétement sa main dans sa bouche. Il faut dire que notre homme est handicapé et n’a plus qu’un doigt à cette main.  

Le dernier à grimacer sera Gérard Trouilhet (n°2778) qui fait d’abord mine de s’endormir avant de se livrer à toutes les contorsions faciales de rigueur et à divers pieds de nez.

Masques :

Comme tout film, Cinématon est à la fois une entreprise de dévoilement et de dissimulation. Certains s’amusent à mettre en scène explicitement ce paradoxe. Cela peut aller du plus basique comme le dessinateur Frédéric Bézian (n°2769) qui ôte sa veste pour parfois dissimuler son visage.

Plus élaboré est le  portrait de la dessinatrice Willis from Tunis (n°2756) qui tient un papier avec l’inscription « liberté » devant son visage. Elle le déchire petit à petit et laisse apparaître ainsi peu à peu son visage. Si la symbolique est un peu faible (l’effritement des libertés), le jeu de dévoilement est intéressant. A la fin, elle sort une nouvelle feuille de papier avec une citation de Max Stirner : « un morceau de liberté n'est pas la liberté ».

Terminons enfin sur la cagoule mythique du regretté cinéaste dadaïste Jean-Jacques Rousseau (n°2760) qui masque son visage mais révèle un regard à la fois doux et affolé. On pourrait croire, en effet, qu'il tient le rôle d’un personnage de ses propres films d’horreur fauchés saisi par la terreur...

Stars

Pour terminer, Cinématon intrigue toujours lorsqu’il met en scène des personnalités très célèbres. Au Fifigrot, Courant a immortalisé Benoît Délépine (n°2752) qui se trempe le bout du nez dans son verre de bière avant de faire mine de le verser dans son oreille.

Mais mon coup de cœur ira à l’agitateur Yannis Youlountas (n°2775) qui commence par coller sur un écran de télévision des autocollants de tout ce qui se fait de plus dégueulasse en guise de groupes politiques (ou pas), du PS au Front national en passant par la CFDT et le MEDEF, avant de faire exploser ce poste avec une masse.

4 minutes d’énergie anarchisante pour résumer de belle manière le caractère facétieux et foutraque du Fifigrot…

Yannis Youlountas Cinématon n°2775

Yannis Youlountas Cinématon n°2775

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