Twin Peaks. Saison 1 de David Lynch et Mark Frost avec Kyle McLachlan, Sheryl Lee, Joan Chen, Piper Laurie


J'inaugure aujourd'hui une rubrique qui va en surprendre plus d'un : celle des séries télévisées. Mon peu de goût pour le phénomène des séries n'aura sans doute échappé à personne et il est d'ailleurs fort probable que cette rubrique sera très peu alimentée. Pourquoi un tel dédain alors que n'importe quel pigiste de Télérama ou des inrocks se pâme devant le moindre épisode de je ne sais quelle saga à la mode ?

Cela tient sans doute à des raisons purement subjectives (mon incapacité à m'intéresser à ces récits sans cesse renouvelés et qui n'en finissent pas) mais également à des réticences « esthétiques », la télévision ne pouvant, selon moi, produire des formes et se limitant à son rôle de robinet à images. Je sais que beaucoup d'entre vous ne seront pas d'accord mais je n'arrive pas à imaginer qu'une série soit destinée à « durer » dans le temps, même si le support DVD permet de les revoir à loisir. A part quelques rares pervers, je n'arrive pas à envisager qu'on puisse revoir avec plaisir La petite maison dans la prairie ou Santa Barbara. Vous allez me dire que je prends les exemples les plus caricaturaux mais même si certaines « bonnes » séries à l'ancienne sont renommées, j'ai l'impression que le culte dont elles font l'objet tient du pur fétichisme. En un mot comme en cent, autant je peux concevoir qu'il y aura toujours de jeunes cinéphiles pour admirer Murnau et Hitchcock, autant j'imagine mal les générations futures se pâmer d'aise devant les séries de nos enfances...

L'intérêt indéniable d'une série télévisée (je suis prêt à reconnaître qu'il en existe un !), c'est le réservoir à « fictions » que permet cette forme feuilletonesque. A ce titre, les seules susceptibles de m'intéresser sont celles réalisées par un artiste unique, désireux d'expérimenter cette forme et sa durée (je pense au magnifique Berlin Alexanderplatz de Fassbinder ou à L'hôpital et ses fantômes de Lars Von Trier et je rêve de découvrir La maison des bois de Pialat).

Autre cas de figure qui me paraît assez passionnant : les séries initiées par des cinéastes qui, s'ils ne l'ont pas réalisé entièrement, ont su donner une direction artistique forte et personnelle au projet. Je pense aux expérimentations désopilantes de John Landis sur Dream on ou au fameux cas Twin Peaks (nous y arrivons !)


Cela faisait longtemps que je voulais voir cette série, d'autant plus que je considère le film Twin Peaks, fire walk with me comme l'une des plus belles réussites de son auteur et sans doute l'un des plus grands films des années 90. Même si cette première saison ne m'a absolument pas déçu, elle m'a permis de comprendre aussi pourquoi je n'aimais décidément pas beaucoup les séries. Car même s'il y a ici une direction artistique forte (l'ombre de Lynch plane en permanence sur la série) et d'immenses qualités « fictionnelles », je dois avouer avoir été gêné, lors de certains épisodes, par cette platitude télévisuelle, cet anonymat de la réalisation qui est l'apanage des séries.

Bien entendu, la série a été suffisamment bien lancée par un épisode pilote impeccable et des personnages très forts qui permettent d'accepter les quelques tunnels narratifs que l'on retrouve dans certains épisodes. Et c'est d'ailleurs là où l'on remarque aussi que la « patte » d'un artiste fait la différence. Mis à part le pilote (réalisé par Lynch), le meilleur épisode de cette première saison est le deuxième (également réalisé par l'auteur de Blue Velvet), celui qui parvient le mieux à adopter la forme télévisuelle de la série et à la subvertir en douceur. Symptomatiquement, c'est le seul épisode qui ose une magnifique séquence onirique (l'agent Dale Cooper rencontre le fameux nain dans ce décor de rideaux rouges que plus personne n'ignore) et qui ouvre de véritables horizons « plastiques », au-delà des simples enjeux narratifs (je rappelle pour ceux qui auraient vécu dans l'espace pendant près de 20 ans que le fil directeur de la série est le meurtre d'une lycéenne, Laura Palmer, dans une petite bourgade aux allures tranquilles mais qui recèle mille secrets).

J'aime aussi le dernier épisode de la saison 1, le numéro 7. Ecrit et réalisé par Mark Frost (le concepteur associé à Lynch pour la série), il donne un coup d'accélérateur bienvenu à base de coups de théâtre assez bien vus. Comme s'il fallait que les instigateurs du projet reprennent parfois les rennes pour lui donner un coup de sang.

Comme je le disais plus haut, l'intérêt de Twin Peaks, c'est de jouer à la fois la carte de la série policière classique et de la subvertir tranquillement. D'une part, en peuplant cet univers de personnages étranges et déjantés (que ce soit « la femme à la bûche » ou même cet agent Dale Cooper -Kyle MacLachlan, un fidèle de l'univers de Lynch- qui résout les enquêtes en interprétant ses rêves), d'autre part, en suggérant le stupre et les abîmes derrière la façade lisse des apparences. Thématique très Lynchienne (le cinéaste venait de tourner Sailor et Lula et Blue Velvet) : le mal se dissimule derrière les plus belles roses. Derrière les visages lisses et stéréotypés des jeunes acteurs et actrices du film, c'est tout un univers glauque qui affleure où se mêlent la drogue, le sexe et les trafics les moins honnêtes.


Cette satire d'une Amérique douillette et proprette fonctionne parfaitement et d'autant plus qu'elle s'inscrit dans une forme souvent fort aseptisée (les spécialistes des séries me feront remarquer qu'il existe aujourd'hui des séries violentes et sexuées mais ce n'est quand même pas la majorité !).

J'aime aussi le côté « Hitchcockien » de Twin Peaks (le film concrétisera d'ailleurs, selon moi, à merveille cette dimension ; ne jouant plus que sur des motifs plastiques pour élaborer un univers uniquement construit sur de la mise en scène). Que Sheryl Lee (Laura Palmer) réapparaisse en cours de série en tenant le rôle de la cousine de Laura et que cette cousine s'appelle Madeleine (Maddy) ne peut pas être un hasard (surtout lorsqu'on retrouvera par la suite des hommages évidents à Vertigo dans Lost highway et Mulholland drive). Toute la série est bâtie sur l'idée du double (à l'image de cet étrange Bob qui apparaît aux yeux de la mère de Laura et qui est d'ailleurs un peu négligé à partir du troisième épisode) et permet ainsi de laisser planer un mystère permanent sur cette petite ville.

Mystère qui me donne désormais envie de découvrir rapidement la seconde saison...

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