Alfred Hitchcock présente... (The Alfred Hitcock hour) : Saison 1, épisodes17 à 32. Éditions Elephant Films. Disponible en DVD depuis le 16 septembre 2015.

Terreur domestique

Suite et fin de la première saison de The Alfred Hitchcock hour, diffusée sur les écrans américains en 1962 (et quasiment inédite en France). Rappelons que cette série fait suite à la mythique saga Alfred Hitchcock présente, qu'elle durera trois saisons et que chaque épisode fera désormais 48 minutes au lieu de 26.

Un des plaisirs de la série, c'est d'abord d'identifier quelques noms connus, qu'il s'agisse des réalisateurs ou des comédiens. On trouvera ici un épisode réalisé par le vétéran John Brahm (le numéro 27 Death and the Joyful Woman), un autre réalisé par Sydney Pollack (épisode 22 Diagnosis : danger) et deux films signés Joseph Newman, le talentueux réalisateur des Survivants de l'infini (épisodes 30 et 32).

Du côté des comédiens, on croisera la route d'un juvénile Roberd Redford (épisode 18), celle de l'hitchcockienne Joan Fontaine (Rebecca, Soupçons) (épisode 20). On retrouvera également avec plaisir Gena Rowlands dans l'épisode 23 tandis que l'épisode 31 confrontera John Gavin (Le temps d'aimer et le temps de mourir, Mirage de la vie, Psychose) avec la « Marilyn anglaise » Diana Dors qui fera une prestation plus que remarquée dans le sublime Deep end de Skolimowski.

 

En découvrant ces petits films policiers, la question qui vient à l'esprit est évidemment celle de la « paternité » du maître du suspense. Y-a-t-il une patte hitchcockienne dans toute la série où est-ce que son nom, ses présentations décalées et souvent hilarantes ne sont que des attractions publicitaires ? Bien évidemment, nous pencherons pour la première proposition tout en introduisant une nuance. Si tous ces épisodes portent évidemment la marque du cinéaste, ils n'en sont pas moins différents de ce qu'il fera sur grand écran. Pour être plus clair, aucun film de la série n'aura l'envergure de La mort aux trousses ou des Oiseaux. Il ne s'agit pas d'une critique ou de l'aveu d'un échec mais du constat qu'Hitchcock prend en compte la nature même du médium télévisuel et qu'il cherche avant tout à inscrire ses récits dans un contexte très quotidien.

A ce titre, l'épisode réalisé par Sydney Pollack est sans doute l'un des moins intéressants car il s'inscrit dans une veine « bigger than life » et opte pour un scénario catastrophe (le pays est menacé par une épidémie d'anthrax). Même si le film est efficace et rondement mené (on ne s'ennuie pas une seconde), on sent qu'il souffre du cadre étriqué du petit écran et qu'il aurait mérité d'être davantage développé (les actions s'enchaînent de manière un peu mécanique).

Terreur domestique

L'épisode n°23 (The lonely hours) est sans doute l'un des plus représentatifs de cette saison 1. On y voit la jeune Gena Rowlands mère au foyer (!) qui accueille une locataire chez elle. Cette femme va peu à peu s'approprier le petit dernier (encore bébé) de la famille jusqu'à l'enlever. Toute la teneur d'Hitchcock à la télé tient dans ce petit récit : le quotidien le plus banal qui se dérègle, la terreur qui s'introduit au cœur même du foyer, l'exploration de l'envers du décor d'une Amérique pavillonnaire et névrosée...

 

Beaucoup des épisodes jouent sur cette crainte de l'intrusion d'un danger au cœur du foyer : l'épisode 17 où une femme seule ne laisse pas entrer chez elle un étranger. Par la suite, la femme qu'elle a laissé dehors se fait tuer sur la plage par une nuit de brouillard. Le mari de la victime s'introduira chez elle mais par un retournement de situation que je ne dévoilerai pas, il s’avérera que le danger venait d'ailleurs (le film a presque un côté Funny games d'Haneke!). Citons également le très bel (et très sombre) épisode 29 (The dark pool) où une ancienne alcoolique perd accidentellement un enfant qu'elle avait adopté. La véritable mère dudit bébé se présente chez elle et commence à la faire chanter. Là encore, le quotidien se dérègle avec l'arrivée d'un intrus au cœur du foyer (cette femme cherche à la fois à faire retomber l'héroïne dans l'alcoolisme et à séduire son mari).

 

Dans l'épisode 20 (The paragon), Joan Fontaine est obsédée par l'idée de faire le Bien et finit par susciter des envies de meurtres. Là encore, il s'agit de partir de situations quotidiennes pour les faire glisser vers des zones plus sombres, en révélant des névroses et des pulsions secrètes. A sa manière, ce personnage est monstrueux car il est invasif et emprisonne les autres par sa compassion et ses désirs de vérité.

 

Si la terreur devient « domestique », elle s'accompagne également d'une certaine recrudescence de la violence. L'épisode 18 (A tangled web) est particulièrement brutal et comporte des éléments macabres (viol d'une sépulture, blessure au rasoir...). Il y a presque un côté Mario Bava dans ce film (mannequins de cire, perruques...) où Redford endosse d'abord la défroque du faux-coupable et où l'histoire policière finit par dériver du côté d'un amour passionnel immodéré.

Certains films (épisodes 26, 28, 31 et 32) relèvent davantage du « film noir » mais la violence s'y taille la part du lion, notamment dans le dernier épisode de cette saison 1 (Death of the cop), véritable histoire de vengeance d'un vieux flic qui a perdu son fils. Le film joue avec les ambiguïtés des moyens mis en œuvre pour faire triompher la justice et le héros n'hésite pas à franchir les limites de la légalité, annonçant ainsi les polars violents à la Dirty Harry.

 

L'un des épisodes les plus impressionnants est peut-être To catch a butterfly (n°19) puisqu'un couple vient s'installer dans un petit pavillon et fait la connaissance de ses voisins. Ceux-ci ont un petit garçon dont le comportement devient de plus en plus inquiétant. Là encore, la figure de l'intrus fait sourdre une angoisse de plus en plus prégnante (le garçon tue le chien du couple vedette) et le film n'hésite pas à jouer la carte de la terreur pure, notamment dans une impressionnante scène où l'enfant menace sa voisine avec...une perceuse ! C'est un film qui explore également une profonde mutation dans la société américaine puisqu'on commence à y dénoncer la violence comme moyen d'éduquer les enfants. Cette violence engendre chez le jeune garçon des névroses qui en font une sorte de mini Norman Bates en puissance.

 

D'une certaine manière, The Alfred Hitchcock hour est un tableau assez saisissant de toutes ces névroses qui se nichent au cœur du foyer américain : adultères qui tournent mal comme dans l'excellent épisode 30 Dear Uncle George où journaliste répondant au courrier du cœur des lecteurs découvre que sa femme le trompe (à cause d'une voisine voyeuse – c'est un peu un Fenêtre sur cour inversé : on n'est plus du côté du spectateur immobilisé mais du spectateur regardé – métaphore du médium télévisuel- ?) ou encore l'épisode 22 narrant les aventures d'un pharmacien respectable qui se laisse déborder par son désir et étrangle une jeune femme. Ce curieux épisode rappelle d'ailleurs encore Juste avant la nuit de Chabrol puisque le coupable défend le « faux coupable » mais personne ne veut le croire, même lorsqu'il s'accuse !

 

Entre les machinations les plus retorses et les drames familiaux, cette manière d'offrir à la terreur une dimension « domestique » est assurément la dimension la plus novatrice de cette série à voir et revoir sans réserve...

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