Cinématon 2911-2925 (2015) de Gérard Courant

Eva Provence : Cinématon n°2922

Eva Provence : Cinématon n°2922

Cela faisait plus d’un an que je ne m’étais pas replongé dans Cinématon. Des milliers de choses à faire, un manque de temps, un certain essoufflement peut-être (de mon côté, pas de celui de l’infatigable Gérard Courant). Pour se remettre dans le rythme, rien de mieux que de se raccrocher à des figures familières proposées par ces portraits.

La première : les accessoires. Soucieux de meubler les trois minutes et des poussières que leur consacre le cinéaste, les cinématonés ont souvent recours à des objets ou ustensiles variés. La cigarette, en premier lieu, avec le producteur et réalisateur Adrien Juncker (n°2911) qui, par ailleurs, froisse un morceau de papier avant de le mâcher longuement, ou encore avec Donatienne Berthereau (n°2918), étudiante à la FEMIS et réalisatrice d’un court-métrage.

Le verre que l’on boit peut aussi constituer une bonne béquille pour passer le temps et offrir une contenance. C’est le vin rouge qui redonne un sourire ébahi au fidèle Alain Paucard (n°2916), filmé pour la troisième fois par Courant dans le cadre de son grand œuvre, ou celui plus indéterminé (vin blanc ? eau ?) que tient à la main Dominique Becker (n°2923).

Du plus futile (les lunettes de soleil que met puis enlève Eléa Laidet (n°2912)) jusqu’au plus original (la tondeuse qu’utilise Théo Deliyannis –n°2925- pour se raser la barbe dans le temps qui lui est imparti), l’accessoire reste l’un des passages obligés de Cinématon.

On peut aussi choisir de se mettre à nu (au sens figuré) et ne présenter que son visage face à Gérard Courant. Il ne reste alors qu’à jouer avec la caméra. La fuir des yeux et rester stoïque comme l’ami Maxime Lachaud (n°2913), auteur d’indispensables ouvrages sur le cinéma redneck ou sur l’éditeur vidéo Potemkine, l’enjôler du regard comme Aude Boutillon (n°2915) ou lui tourner le dos avant de l’approcher et la scruter comme l’écrivain et dramaturge Patrick Tudoret (n°2917). A ce petit jeu, celle qui offre la performance (pourtant minimaliste) la plus intéressante est peut-être la comédienne Eva Provence (n°2922) qui enlève son manteau et joue avec le spectateur en faisant mine d’être agacée par le présumé regard insistant qu’il poserait sur elle. La façon dont elle détourne le regard avant de nous fixer droit dans les yeux, l’air agacé, possède une belle intensité.

Le plus étonnant passage de cette étape cinématonesque fut sans doute celle où Gérard Courant s’en est allé filmer trois étudiants en cinéma de Paris 8. D’une part, parce que les trois modèles ont un peu « scénarisé » leurs portraits. Michael Zindel (n°2919) joue les Hulk en bandant les muscles et en déchirant les t-shirts qu’il enfile au fur et à mesure (j’en ai compté cinq). Camille Andreys (n°2920) débouche une bouteille de rouge qu’il boit au goulot, brûle le bouchon de liège et se barbouille la figure avec. Enfin, Marine Chaplais (n°2921) réalise un Lire muet en entamant la lecture de Madame Bovary avec toute une pile de livre en équilibre sur sa tête.

D’autre part, parce que ces trois portraits insouciants ont été tournés à Paris… le 14 novembre 2015, soit le lendemain de la terrible tragédie qui endeuilla la capitale (et qui n’était d’ailleurs pas tout à fait terminée à ce moment). Tout se passe comme si le vent de l’Histoire n’avait pas soufflé sur Cinématon, à la fois témoin privilégié de toute une époque mais épargné également par ses travers les plus funestes.

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