Cinématon 1591-1620 (1992-1994) de Gérard Courant

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Thierry Séchan Cinématon n°1600

 

Un premier constat avant d'entrer dans le vif du sujet : Gérard Courant n'a pas été très prolifique en 1993 et le temps de 30 films, nous sommes passés de la fin de l'année 92 au début de l'année 94.

 

Deuxième constat : au fil des ans, le cinéaste a tissé des liens d'amitiés avec les membres du « Club des Ronchons » (Alain Paucard, Jean Dutourd, Patrick Besson, Volkoff...) au point qu'il partira avec la joyeuse équipe en Serbie en 1997 et en rapportera un « carnet filmé » qu'il faudra que je me décide à regarder un jour (Voyage au centre du monde). Pour le n°1600, c'est l'un des membres actifs du club qui s'y colle : Thierry Séchan qu'on ne présente plus. Le frère de Renaud (la ressemblance physique est toujours frappante) pose sans rien faire, si ce n'est siroter son verre de whisky.

 

Pour le coup, l'auteur de Nos amis les chanteurs se trouve bien entouré puisqu'il arrive après le Cinématon « érotique » de Claudia Gehrke (n°1599) et avant celui d'Anna Norak (n°1601). L'écrivain allemande présente son ouvrage et montre quelques photos plus que suggestives avant d'enlever son chemisier, d'exhiber sa poitrine et de présenter à la caméra la petite culotte en dentelles qu'elle porte. Moins audacieuse, la française se contente de nous présenter un visage déformé par ce qu'on suppose être un orgasme (simulé?). Et puisqu'il était dit que le dicton « jamais deux sans trois » devait fonctionner, nous croiserons à nouveau un portrait « érotique » grâce à Annie Aurenque (n°1608). Celle que Gérard Courant présente comme un « garde du corps » commence par recoudre un vêtement que nous ne voyons pas. C'est lorsqu'elle enlèvera son t-shirt et qu'elle l'enfilera que le spectateur réalisera qu'il s'agissait d'un mignon soutien-gorge !

 

Aucun contraste ne nous fut épargné puisque après les seins charmants de la jolie Annie, nous tombâmes sur le visage austère et dégarni d'un « conseiller culturel » et « directeur d'institut » : Denis Evesque (n°1609). Mais finalement, le bonhomme nous a agréablement surpris en commençant par grimacer comme un gamin (ce qui n'est jamais une bonne idée dans un Cinématon) puis en se mettant sur la tête un sac avec l'inscription suivante : « Je vais rejoindre en... courant l'empyrée narcissique du Cinématon !» 

 

Je soulignais précédemment que le geste même de montrer, de filmer induisait toujours une certaine idée de « transgression » (toujours en voir plus) et de repousser les limites. Les Cinématons n'échappent pas à la règle, d'autant plus que le cinéaste laisse une totale liberté à ses modèles. Nous avons déjà évoqué plusieurs fois le cas des portraits « érotiques » mais après Eros, c'est de Thanatos qu'il va être question.

Il est déjà arrivé que certains modèles fassent mine de se « tuer » devant la caméra. Mais personne n'avait été aussi loin que le producteur Laurent Piketty (n°1616) qui sort un Opinel, fait mine de se percer les yeux et finit par s'entailler profondément la main. Quelque chose d'assez vertigineux se produit dans l'esprit du spectateur lorsqu'il voit le sang couler et l'homme se lever pour venir maculer l'objectif de la caméra de Courant avec sa propre hémoglobine. D'une certaine manière, le dispositif inventé par le cinéaste pousse les modèles à braver les interdits et à s'approcher des deux « absolus » irreprésentables au cinéma selon Bazin : le sexe et la mort.

 

Pour ce qui est du reste de l'étape, nous nous sommes contentés de choses plus « classiques », notamment celle qui consiste à présenter des objets à l'écran. Le spécialiste des « happenings » Jean-Jacques Lebel (n°1592) présente une sorte de mobile et un pistolet d'un genre très particulier (il représente un monsieur qui s'active et copule avec une dame lorsqu'on appuie sur la gâchette!), Tim Miller (n°1613) se contente de reproductions dans des livres tandis que Jon Carnoy (n°1614) montre une bobine de pellicule qu'il fait mine de manger.

Le comédien Olivier Wurtz (n°1615) (on ne peut pas dire qu'il ait percé!) montre l'ouvrage Cinématon et finit par inviter Gérard Courant à se présenter devant l'objectif. En bon connaisseur des frères Lumière, il faut bien que l'arroseur soit parfois arrosé (ou le filmeur filmé, si vous préférez!)

La journaliste Brigitte Cornand (n°1595) (que l'on connaît parce qu'elle a travaillé avec Guy Debord à la fin de sa vie) réalise un « Ciné-matou » (une série que Courant inventera réellement!) en présentant à la caméra (grâce à des cartons) ses deux chats : Suprême et Céleste.

 

Quand ils ne présentent rien à la caméra, les modèles décident de ne rien faire (l'écrivain François Tallandier n°1606, par exemple), quitte à fixer intensément la caméra (John Giorno n°1596, Bernard Heidsieck n°1598) ; ou alors de s'agiter et papoter en oubliant que le film est muet. Nous songeons, par exemple, à l'excellent Jean-François Rauger (n°1603), grand prêtre des soirées « bis » de la Cinémathèque ou encore à Emmanuel Moses (n°1604) et Anne Brassié (n°1605).

 

Pour terminer, et puisque Cinématon n'est qu'une affaire « d'image », le plasticien Costis (n°1597) a la bonne idée de ne présenter que son reflet déformé (et à l'envers) en plaçant devant l'objectif de Courant un miroir bombé. Il ne finira par se montrer qu'aux toutes dernières secondes du film.


Mais est-ce bien cette image qui est la plus fidèle à la réalité ?

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