L’Internationale Straubienne : à propos des films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (2016). Collectif (Éditions de l’œil, Centre Georges Pompidou, 2016)

Bienvenue en Straubie

Alors que s’achève la grande rétrospective Straub/Huillet qui s’est tenue au centre Georges Pompidou, il est encore possible de se familiariser avec l’œuvre du couple de cinéastes en se plongeant dans le catalogue édité à cette occasion. Le mot « catalogue » est d’ailleurs assez impropre à définir ce magnifique ouvrage ; volumineuse monographie de plus de 500 pages  à la maquette splendide.

Richement illustré, le livre nous propose d’abord de beaux documents (photogrammes, extraits de scénario) avant d’introduire l’œuvre par quelques textes transversaux : le cinéaste Albert Serra évoque les costumes chez les Straub tandis que Raphaëlle Pireyre analyse finement la question du montage. On pourra également lire un passionnant témoignage du chef opérateur Renato Berta et une réflexion stimulante de Florian Guignandon sur la position politique du couple, bien évidemment ancré à gauche (communiste) mais une gauche anti-progressiste.

Par la suite, c’est l’œuvre globale qui est disséquée par de nombreuses plumes affutées, un cahier de photos venant séparer les films réalisés avec ou sans la regrettée Danièle Huillet.

La diversité des contributions et des approches fait la richesse évidente de l’ouvrage. Tandis que le psychanalyste Aimé Agnel se contente d’une trentaine de lignes pour décrire De la nuée à la résistance, Cyril Neyrat consacre un essai de près de trente pages denses à Moïse et Aaron. Certains auteurs nous proposent des approches purement cinématographiques (les très beaux textes de Mathieu Macheret et Jacques Mandelbaum sur Antigone et Sicilia !) tandis que d’autres n’hésitent pas à mêler considérations politiques, esthétiques et philosophiques (les 30 pages extrêmement ardues- surtout pour quelqu’un qui n’a pas vu le film- de Giorgio Passerone sur Kommunisten). Mais la présentation du film peut également prendre la forme de photographies (Toute révolution est un coup de dés), de témoignage à la Georges Pérec (le « je me souviens » du producteur Christophe Gougeon à propos d’Une visite au Louvre) ou de visions plus « professionnelles » : le point de vue du peintre Claude Rutault sur Cézanne, celui du cinéaste Jean-Claude Rousseau sur Ces rencontres avec eux.

Cet ensemble traduit parfaitement le regard que l’on peut porter sur le cinéma des Straub. Encore récemment, quelqu’un ironisait sur Twitter sur le fait que certains puissent accorder de l’importance à cette œuvre. Car s’il est bien une évidence, c’est que le cinéma des Straub ne fera jamais consensus. Mais ça serait une grosse erreur de le considérer comme « élitiste » : leurs films sont d’un accès difficile en ce sens qu’ils demandent de la patience et un certain effort d’attention. Mais ils s’adressent à tous sans pour autant être nivelés pour le plus grand nombre. D’où cette notion d’ « internationale straubienne » (formule trouvée jadis par Serge Daney) : un nombre limité d’adeptes mais qui peuvent se rencontrer partout et dans n’importe quel pays (je l’ai déjà dit mais la seule projection publique– hors festival- d’un film des Straub à Dijon a eu lieu un dimanche matin, à l’heure de la messe, et la salle était pleine).

Qu’est-ce qui peut toucher dans un film des Straub ? Le mystère reste entier et c’est ce que traduit aussi la diversité des contributions du livre. On peut y trouver, bien sûr, une nourriture très intellectuelle (l’essai ardu de Patrice Rollet sur Amerika, rapports de classes) mais aussi de véritables raisons sentimentales comme l’explique très bien notre ami Mehdi Benallal dans un très beau texte sur un film récent de Jean-Marie Straub (Dialogue d’ombres).

L’Internationale straubienne donne très envie de se replonger dans tous ces films, y compris ceux devant lesquels nous sommes restés indifférents ou agacés (je ne suis pas un « straubien systématique » et il m’arrive de ne pas aimer certains titres, notamment les derniers réalisés en solo). On aura donc compris qu’il s’agit d’une somme indispensable, à placer aux côtés de l’essai de Louis Seguin et du très beau livre de Vincent Nordon Straub/Huillet, non merci ? – La plainte d’un ami.  

Retour à l'accueil