Des gens drôles (2024) de Lucile Commeaux, Adrien Dénouette, Quentin Mével, Guillaume Orignac, Théo Ribeton (Playlist Society, 2024)

Comédie française : état des lieux

Le rire est sans doute l’une des réactions humaines les moins contrôlables mais aussi l’une des moins partageables. Ce qui fait rire les uns laissera dubitatifs les autres et vice-versa. Personnellement, si on me demandait quels sont les auteurs français qui me font rire aujourd’hui, je citerais volontiers -à l’exception d’En liberté- Pierre Salvadori (à qui les éditions Playlist ont déjà consacré un ouvrage), Emmanuel Mouret (bien qu’il ait abandonné depuis quelques films la comédie pure), Antonin Peretjatko, Quentin Dupieux, Delépine et Kervern, le Problemos d’Éric Judor et même s’il fait figure d’ « ancêtre » pour la jeune génération, l’incontournable Bruno Podalydès.

Le panorama proposé dans le cadre de l’ouvrage Des gens drôles est sensiblement différent et, honnêtement, ne correspond pas trop à mes inclinations. Je confesse humblement n’avoir jamais goûté l’humour de petit malin d’Hazanavicius, par exemple (les OSS 117, en dépit de quelques bons moments, jouent trop sur la connivence avec le spectateur pour se moquer d’un objet populaire déjà parodique à la base et je hais Le Redoutable) et ne pas trouver un grand intérêt aux autofictions narcissiques de Sophie Letourneur (mais je n’ai vu que deux de ses films). Pour le reste, je ne connais de David Marsais que ses prestations d’acteur chez Dupieux (Mandibules, Fumer fait tousser), idem pour Zadi (Fumer fait tousser) et ne connais Judith Davis que de nom. Quant à Emilie Noblet et FloBer, je n’en avais jamais entendu parler (même si j’ai vu Jeune Femme de Leonor Serraille, photographié par la première).

A la lecture de cette énumération, le lecteur pressé pourra croire que ce petit ouvrage ne m’était décidément pas destiné et qu’il m’est tombé des mains. Or il n’en est rien. L’intérêt d’un livre sur le cinéma, c’est aussi d’ouvrir nos horizons et de nous permettre de découvrir des territoires que nous ne fréquentons guère (pour résumer, ceux de la comédie française contemporaine). Le panorama proposé par l’essai est non seulement diversifié, entre les productions les plus classiques (Hazanavicius), une certaine comédie « d’auteur » (Letourneur, Davis) et de nouveaux noms venus d’Internet (FloBer) mais offre un état des lieux plutôt intéressant de ce qui fait rire aujourd’hui.

L’ouvrage sortant dans la collection « Face B » de l’éditeur, on aura compris que le retour sur les œuvres des sept auteurs distingués se fait essentiellement sous la forme d’entretiens menés par Adrien Dénouette, Quentin Mével, Guillaume Orignac et Théo Ribeton. Lucile Commeaux assure une présentation succincte et le réalisateur Martin Jauvat (Grand Paris) s’est chargé de la postface.

Que retient-on de ces interviews ? Tout d’abord, un ensemble de références communes qui vont des comédies « classiques » françaises qui égayèrent les soirées télévisées des années 80/90 (les films du Splendid, de « Bébel », de Francis Véber ou de De Funès) jusqu’à l’esprit (plus ou moins) impertinent venu de Canal + (dont Hazanavius fut l’un des transfuges) en passant par la « nouvelle » comédie américaine qui regroupa des gens comme les Farrelly, Judd Apatow, Will Ferrell ou Adam Sandler. FloBer, par exemple, avoue de manière assez touchante la dette qu’il a envers Apatow dont il a étudié tous les films et les écrits.

Si les approches du cinéma restent relativement différentes, entre la pratique théâtrale de Judith Davis, les enregistrements audios de Sophie Letourneur qui part toujours de son existence pour échafauder ses récits où ceux qui s’appuient d’abord sur des blagues ou des personnages ; on pourra constater néanmoins qu’il existe aussi entre elles des points communs. En particulier, tous insistent sur les questions de rythme nécessitées par la comédie. Et ces questions débouchent sur de véritables réflexions autour de la mise en scène : comment découper la scène ? Comment intégrer la réaction du spectateur dans l’élaboration du gag ? (souvent à l’aide d’un tiers qui réagit à l’action). De la même manière, il est question de l’écriture, souvent primordiale, et des possibilités ou non pour les comédiens d’improviser.

Le visage de la comédie contemporaine qui se dégage de ce livre dessine aussi, « en creux », ce que la comédie ne semble plus vouloir (pouvoir ?) être. En effet, pour reprendre les concepts énoncés jadis par Stéphane Delorme, le spectateur d’aujourd’hui a troqué la sensibilité (notamment à une certaine forme d’humour) pour la susceptibilité (le rejet de ce qui le heurte, le provoque…). Or la comédie et le rire sont, par définition, violents (voir les burlesques primitifs) et « méchants ». Le rire permet de railler les puissants, de mettre à nu les dysfonctionnements sociaux, d’ébranler les « édifices d’abrutissement » (religion, hiérarchie, armée, police, État…) à l’instar des bombes anarchisantes d’un Mocky autrefois, par exemple. Ici, à part Jean-Pascal Zadi qui égratigne le communautarisme sans quand même aller trop loin (il évoque des blagues ôtées au montage de Tout simplement Noir), on a un peu le sentiment de voir une génération assez timorée, soucieuse de ne jamais (trop) dépasser les limites qui risqueraient de choquer.

J’y vois d’ailleurs ce que je j’avais reproché à un film pas forcément désagréable mais très moyen comme Intouchables : des œuvres se contentant d’accumuler les vannes, relevant davantage du « stand up » que du cinéma. FloBer le confesse d’ailleurs en estimant qu’on ne peut pas rire plus d’une heure de suite (pourtant Tati, pourtant Blake Edwards…), réflexion qui me paraît assez juste uniquement si les œuvres se limitent à une succession de sketches.

C’est peut-être là qu’un entretien avec Peretjatko aurait permis d’éclairer un peu différemment le panorama proposé. Car il fait partie de ces rares cinéastes qui mêlent le rire et un véritable regard politique sur la société française (voir son traitement des Gilets jaunes dans Les Rendez-vous du samedi). Il manque peut-être dans ce tableau un humour plus grinçant, plus noir et plus provocateur.

Cette réserve, qui n’en est d’ailleurs pas vraiment une, n’empêche pas Des gens drôles de proposer un regard intéressant et assez juste sur une certaine tendance de la comédie française actuelle. De quoi donner des envies de découvertes (j’avoue que les films de Marsais ou celui d’Émilie Noblet m’intriguent désormais) et d’espérer que ces tendances observées soient le signe annonciateur d’un renouveau du rire hexagonal.

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