Une histoire du cinéma français : 1970-1979 (2023) de Denis Zorgniotti, Ulysse Lledo (Éditions Lettmotif, 2023)

Les années 70 au cinéma

Peu à peu, cette histoire du cinéma français concoctée par Denis Zorgniotti et Ulysse Lledo (qui a succédé à Philippe Pallin, malheureusement décédé avant d'avoir pu mener son projet à bout) prend forme et gagne en densité. Les défauts que je pointais dans ma recension de l'ouvrage consacré aux années 40, notamment cette manière de « déborder » du cadre des limites temporelles fixées lorsque les auteurs s’attellent à des dossiers thématiques, s'atténuent à mesure que se dessine un tableau d'ensemble dans lequel on ira volontiers piocher des informations.

Le principe de cette histoire, on le rappelle, est immuable : un découpage par année avec des coups de projecteur sur une poignée de films jugés importants (3 à 5), un panorama plus large avec des notules sur une dizaine de titres et la citation, « en accéléré » des principales sorties de l'année. Après cette recension des œuvres, les auteurs s'attardent sur une actrice, un acteur et un réalisateur avant de terminer leur tour d'horizon par un dossier thématique. Pour les années 70, ces dossiers sont très variés, allant du cinéma « expérimental » à la comédie en passant par la « révolution sexuelle » (années 70 obligent!) et le féminisme.

 

Même si je ne possède que deux volumes de cette histoire, on peut d'ores et déjà affirmer que ce cinquième tome confirme la cohérence du projet. Les petites réserves que je formulais dans ma précédente chronique s'estompent dans la mesure où il faut prendre chaque volume comme une simple pièce d'un puzzle beaucoup plus vaste. De plus, on peut aussi remarquer que les auteurs ont fait un effort pour limiter les répétitions inévitablement induites par la construction des ouvrages. Prenons un simple exemple : Calmos de Bertrand Blier n'est pas recensé dans les sorties de l'année, ce qui permet à Zorgniotti et Lledo de revenir plus en détail sur le film dans le texte consacré à Jean-Pierre Marielle et dans le dossier sur le féminisme. Rozier et Thomas, malheureusement un peu négligés lorsqu'il s'agit d'évoquer les œuvres, retrouvent une place plus importante lorsqu'il est question de la comédie des années 70.

 

Mais l'élément le plus important qu'il s'agit de souligner se trouve dans le titre même de l'ouvrage. UNE histoire du cinéma français indique bien que l'approche est subjective et qu'il existe autant d'histoires du cinéma que d'historiens. Par quel angle aborder les œuvres : leur popularité ? Leur réception par la critique ? Les traces qu'elles ont laissées dans les esprits ? Pour les auteurs, les années 70 peuvent être considérées comme « l'âge d'or des films du milieu ». Position qui peut se défendre lorsqu'on voit les cinéastes distingués au cours de cette décennie : Costa-Gavras, Claude Sautet, Claude Lelouch, Yves Boisset ou encore les deux Bertrand (Blier et Tavernier) et Corneau. Des cinéastes ayant un univers, un style parfois (Blier, Sautet) mais capables de séduire le grand public (Les Valseuses se classant 8ème au box-office des films français des années 70). C'est aussi l'époque où les visages se renouvellent mais où le « star-système » tourne encore à plein régime (le dossier Belmondo vs Delon en témoigne bien). Certains comédiens ayant débuté plus tôt accèdent au vedettariat (Romy Schneider, Marlène Jobert, Michel Piccoli, Jean-Louis Trintignant, Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle...) tandis que de nouveaux venus s'imposent très vite : les deux Isabelle (Adjani et Huppert), Miou-Miou, Patrick Dewaere, Jean Yanne...). Si cette approche peut être corroborée par les chiffres d'un box-office dominé par le phénomène Emmanuelle et par de nombreuses comédies où triomphent De Funès (5 films classés sur 15) et les ineffables Charlots (Les Bidasses en folie, deuxième film français le plus vu au cours de la décennie), on aurait aussi pu imaginer une histoire plus axée sur un cinéma d'auteur plus exigeant qui fut également à l'honneur pendant les années 70. Zorgniotti et Lledo ne le négligent pas totalement, consacrant un long texte à La Maman et la putain d'Eustache tout en offrant à Jacques Rivette un joli coup de projecteur. Mais les cinéastes plus marginaux (Garrel, Godard – dont la période grenobloise est totalement occultée alors qu'Ici et ailleurs ou Numéro deux auraient mérité quelques mots-, Rozier, Doillon, Duras, Robbe-Grillet, les Straub – jamais cités-, Marker, Allio, sans parler des cinéastes de « genre » : Benazeraf, Rollin, Leroi, Mulot...) sont négligés au profit d'auteurs plus installés : Chabrol, Truffaut, Pialat, Malle, Miller voire Rohmer ou Deville. Ces choix ne sont pas scandaleux mais témoignent d'un parti-pris qui atténue parfois la diversité du cinéma français dans ses marges. Le texte sur le « cinéma expérimental » est d'ailleurs assez symptomatique, ne traitant pas vraiment du sujet si ce n'est pour citer quelques films d'avant-garde (Isou, Debord) et des films relevant plus du cinéma « contestataire » (Faraldo, L'An 01 de Doillon...) que de la véritable « expérimentation » (quid de Serge Bard, Philipe Bordier, Jean-Pierre Lajournade, Jackie Raynal...).

Mais encore une fois, il ne s'agit pas d'un reproche mais de considérations subjectives qui viendront forcément à l'esprit de n'importe quel lecteur confronté aux choix des auteurs (pourquoi Lelouch est-il aussi bien traité par rapport à Cavalier, par exemple ? )

Le plaisir qu'on a en lisant cette histoire du cinéma français, c'est de picorer et de retrouver les souvenirs des visionnages des films. C'est aussi, plus particulièrement lorsqu'il s'agit des années 70, se rappeler les incroyables mutations de la société française de l'époque : les derniers souffles des utopies nées avec Mai 68, la parenthèse porno et l'abolition provisoire de la censure, les réflexions sur le pouvoir et la condition féminine, le cinéma comme arme politique et la méfiance envers toute sorte de pouvoir (que l'on retrouve, à des degrés différents, chez Mocky ou Boisset), les questionnements autour de la banlieue et d'un avenir vu avec inquiétude (les prémices de la crise écologique)...

 

A travers ce panorama forcément limité et subjectif, on retrouve également ce sentiment de liberté et d'audace qui étonne aujourd'hui lorsqu'on revoit les films. Cet air du temps, Une histoire du cinéma français : 1970-1979, nous en fait humer les effluves et ce n'est pas le moindre de ses mérites.

 

Retour à l'accueil