Little Big Man (1970) d’Arthur Penn avec Dustin Hoffman, Faye Dunaway. (Éditions Carlotta Films). Sortie en salles en version restaurée le 20 juillet 2016

Jack le fataliste

Arthur Penn fait partie de cette génération de cinéastes hollywoodiens qui a fait la transition entre l’époque classique des studios et la modernité du « Nouvel Hollywood ». Dès son premier film, Le Gaucher, il s’inscrit dans un genre typiquement américain (le western) mais le pervertit en appliquant au cinéma les méthodes qu’il a expérimentées à la télévision : jeu moderne (« l’Actors studio ») des comédiens (Paul Newman), noir et blanc, budget relativement bas…

Si au cours des années 60, le cinéaste va se rapprocher d’une certaine sensibilité européenne et réaliser un film très influencé par la Nouvelle Vague (Mickey one), il va ensuite se diriger vers des films plus "spectaculaires" mais en cherchant à démystifier une certaine image de l’Ouest américain. En ce sens, Little big man, grand film picaresque qui ressort aujourd’hui dans une belle version restaurée, est la suite logique de La Poursuite infernale ou de Bonnie and Clyde : une plongée ironique au coeur de l’Histoire américaine.

Le film semble, dans un premier temps, s’inscrire dans le cadre du western épique, avec un vieillard de plus de 120 ans qui entend raconter tous les aléas de son existence. La voix-off prend en charge un récit dont on imagine déjà le souffle héroïque : un petit garçon et sa sœur se retrouvent orphelins après une attaque d’indiens. Cela pourrait être le début de La Prisonnière du désert et une quête visant, dans le cadre du western classique, à la vengeance ou à la réconciliation des peuples (comme chez Ford). Mais très vite le ton se fait ironique puisque Jack se fait adopter par une tribu cheyenne et découvre le mode de vie des indiens.

Ce ne sont plus les ennemis de l’Amérique mais un peuple massacré par les blancs. Penn démystifie directement l’héroïsme de l’armée américaine qui massacre sans vergogne femmes et enfants et qui oppose à de simples flèches le canon des fusils. De façon frontale, le cinéaste vise à montrer le véritable génocide qu’a subi le peuple indien.

Le film bifurque lorsque le jeune Jack retrouve sa place chez les blancs. A la manière de Cervantès ou du Diderot de Jacques le fataliste, Penn réalise une succession de saynètes picaresques visant à ridiculiser toutes les valeurs sur lesquelles s’est construite la nation américaine. Il s’en prend d’abord à la religion avec ce délicieux moment où notre héros rencontre Mrs Pendrake (la sublime Faye Dunaway), une bigote qui entend lui inculquer tous les bienfaits du christianisme. Avec une verve comique indéniable, le cinéaste souligne l’hypocrisie de tous ces principes qui visent à refouler les désirs humains (notamment sexuels). Bien évidemment, Jack découvrira que la belle s’envoie en l’air à la première occasion et qu’il n’est pas toujours désagréable de succomber à la tentation !

Et le film poursuit son voyage insolite dans une Amérique démystifiée avec la rencontre avec un charlatan (presque plus honnête que les religieux !), une hilarante séquence où Jack devient champion des armes (le mythe du Bandit valeureux est aussi ridiculisé) et enfin, Penn raille un certain conformisme bourgeois lorsque Jack se marie et se transforme en petit boutiquier qui fera faillite (encore un coup de la fatalité !).

Jack le fataliste

Little big man est un film qui joue constamment sur les changements d’échelle et les contrastes. Au souffle épique que dégagent les scènes de batailles, filmées en plan d’ensemble dans les paysages majestueux du Montana s’opposent les scènes d’un quotidien beaucoup  plus prosaïque et étriqué.

En démystifiant l’Amérique de Custer et en montrant le génocide indien, Arthur Penn entend également parler de son époque. Parce que l’armée yankee qui décime les cheyennes, c’est aussi celle qui tue au napalm au Vietnam. Little Big Man est avant tout un brûlot contre l’Amérique WASP impérialiste avec parfois une certaine naïveté puisque les indiens deviennent, devant la caméra de Penn, une sorte de communauté hippie où l’on fume le calumet de la paix, où l’on pratique l’amour libre (la scène assez amusante où Jack doit combler les trois sœurs de sa femme) et où l’on accepte toutes les préférences sexuelles (voir le personnage de cet indien clairement homosexuel). Le discours est, bien évidemment, très sympathique (les indiens se nomment d’ailleurs davantage « êtres humains » plutôt que de se caractériser par leur origine ethnique) mais il est aussi assez naïf en ce sens qu’il présuppose une convergence des intérêts des minorités opprimées, ce qui reste encore à démontrer !

Plus que le discours, c’est l’ampleur formelle du film (peut-être un poil trop long quand même) qui emporte l’adhésion : ces jeux de contraste de la mise en scène (le souffle épique contre la trivialité du quotidien), ces ruptures de ton (du burlesque à la tragédie) et ces constantes saillies qui mettent à mal le mythe de l’Ouest américain. Le tout porté par un Dustin Hoffman qui trouve ici l’un de ses plus beaux rôles et qui donne envie de refaire ce voyage chaotique et sardonique…  

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