Mémorabilia : les rencontres d’un scénariste-réalisateur (2021) de Philippe Setbon (Éditions AO- André Odemard, 2021)

Souvenirs, souvenirs

Philippe Setbon est un cas vraiment à part dans l’univers du cinéma français. Alors qu’il a côtoyé les plus grandes vedettes du septième art (Delon, Eddie Constantine, Roger Moore, Jeff Goldblum, Godard, Klaus Kinski...), il est probable que vous n’obtiendrez qu’un regard interrogatif de votre interlocuteur si vous prononcez son nom. Tout au plus pourrez-vous apercevoir un œil qui frise chez les bisseux qui se souviendront forcément de son premier long-métrage : le mythique Cross avec Michel Sardou.

S’il n’a tourné que deux films pour le cinéma (le deuxième à Hollywood avec Jeff Goldblum, Alan Bates et Jean-Pierre Cassel : Mister Frost), Philippe Setbon a eu de multiples activités. A l’âge de 20 ans, il consacre un essai à Charles Bronson puis dessine quelques BD pour Pilote et Métal Hurlant avant de devenir scénariste. Il collabore avec Godard (Détective), Pinheiro (Parole de flic) ou Jean-Louis Daniel (Les Fauves) avant de se tourner vers la télévision. Pour le petit écran, il tourne des téléfilms (Ricky avec Stévenin et Guillaume Depardieu, Les Mains de Roxana avec Sylvie Testud…) et des séries (Greco). En tant que scénariste, il retrouve d’ailleurs José Pinheiro sur l’adaptation de Kessel Le Lion et Delon sur la série Fabio Montale.

Si on ajoute à cela de nombreux livres, on réalise qu’à 63 ans, Philippe Setbon a eu une carrière bien remplie et jalonnée de rencontres. Avec Mémorabilia, il décide d’égrener ses souvenirs sous forme d’un abécédaire. Il peut ainsi rendre hommage aux acteurs et actrices avec qui il a tourné mais également à celles et ceux qu’il a admirés et seulement croisés (les anecdotes amusantes concernant Robert de Niro, Jean Rochefort ou Jean-Louis Trintignant). Il évoque aussi ses relations, parfois difficiles, avec les producteurs et certaines saynètes se révèlent très drôles :

« -Pour jouer le vieux flic, il faut le mec de Bagdad Café. Comment il s’appelle déjà ?

-Jack Palance, dis-je.

-Voila !

Et il se mit aussitôt à envoyer un SMS à son assistante.

-Le problème, c’est qu’il est mort, Jack Palance, dis-je.

-Quoi ?

-Il est mort, répétai-je.

-C’est sûr, ça ?

-Certain.

-Je vais quand même prendre contact avec son agent. »

Une des grandes qualités de ce livre, c’est la constante modestie de Philippe Setbon. On n’y trouvera aucune aigreur, même lorsque certains rendez-vous se sont mal passés (il préfère d’ailleurs passer sous silence les conflits qu’il a pu connaître). Et il jette un voile pudique sur les mauvais souvenirs afin que ses mémoires ne prennent jamais l’allure d’un règlement de compte ni un ton revanchard. Au contraire, il parvient toujours, à travers l’anecdote, à saisir quelque chose qui peint avec justesse les traits de ceux qu’il évoque. Je ne sais pas si c’est l’œil du dessinateur qui joue mais il y a dans cette succession de portraits un art du détail, de la petite notation insolite et drolatique qui colore avec brio l’ensemble.

Son avant-propos traduit bien cette modestie et cette volonté d’affirmer une subjectivité mais avec un certain retrait, sans se mettre en avant : « Tout est-il vrai ? Oui, absolument. Tout est-il parfaitement exact ? Sans doute pas à 100%. La mémoire a tendance à simplifier, à enjoliver, à « scénariser » le réel, à lui donner une forme narrative, quand le plus souvent tout est anarchique et sans direction précise. »

On s’amuse beaucoup en lisant le portrait de Pierre Mondy, vaillant octogénaire ou encore Eddie Constantine, encore capable de refiler quelques beaux horions. Cinéphile, Setbon rend de beaux hommages à ceux qu’il a aimés dans sa jeunesse et raconte avec ferveur ses rencontres avec Richard Fleischer, Robert Vaughn, Michèle Morgan ou Samuel Fuller. A l’inverse, si certaines rencontres furent plus tendues, l’auteur parvient à leur donner une touche savoureuse, qu’il s’agisse de celles avec Godard pestant contre le scénario de Détective (« à peine mieux qu’un S.A.S qu’on trouve dans les gares »), avec un Lino Ventura particulièrement teigneux ou d’un Montand croisé dans un cinéma et qui rendit la séance de Meurtre d’un bookmaker chinois impossible (à cause de ses commentaires à haute voix).

La tentation de tout citer est grande alors je m’arrête ici et vous recommande ce Mémorabilia qui, au-delà de son caractère anecdotique, peint de manière enjouée et tendre, cette improbable « grande famille » du cinéma.

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