Giselle Pascal : La princesse sans couronne (2023) d'Eric Antoine Lebon (L'Harmattan, 2023)

Au bout du conte

Pour être tout à fait honnête, je crois qu'avant de lire l'ouvrage que lui consacre Eric Antoine Lebon, j'aurais été bien incapable de citer un film dans lequel apparaît Giselle Pascal. Pourtant, cette jeune femme découverte au début des années 40 par Marc Allégret alors qu'elle avait à peine 20 ans fut l'une des vedettes les plus appréciées par les spectateurs de l'après-guerre. Après lecture, j'ai réalisé que je n'avais vu Giselle Pascal que dans ses apparitions les plus récentes (Les Compères de Veber, La Femme publique de Zulawski, le très beau En haut des marches de Paul Vecchiali) et peut-être est-ce la raison de l'oubli dans lequel elle est tombée : l'absence de grands films dans sa carrière. Contrairement à Danielle Darrieux (à qui elle fut souvent comparée) ou Micheline Presle (autre actrice de sa génération avec qui elle tourna), elle n'a pas été dirigée par les grands noms du cinéma français (exception faite de Sacha Guitry mais pour des apparitions plutôt anecdotiques dans Si Versailles m'était conté et Si Paris nous était conté) et il est aujourd'hui difficile de se faire une idée de son talent car des films comme Horizons sans fin (Dréville) ou les nanars qu'elle a tournés sous la direction d'André Berthomieu et Raoul André sont désormais peu montrés.

La biographie d'Eric Antoine Lebon tombe à pic pour réhabiliter la comédienne. On sait que cet auteur évite toujours les sentiers battus et qu'il s'intéresse à des artistes (relativement) oubliés de l'avant ou après-guerre, qu'il s'agisse du cinéaste Léonide Moguy ou de l'actrice Annabella. Avec sa « princesse sans couronne », il procède de la même manière que dans ses ouvrages précédents, balayant sa carrière avec la rigueur de l'historien et un goût prononcé pour l'anecdote. S'appuyant sur de nombreuses sources (interviews de Giselle Pascal, articles de la presse d'époque, témoignages directs...), son livre retrace précisément l'ascension de la comédienne quitte à pointer, en croisant les sources, certaines incohérences et les anecdotes sujettes à caution. La légende veut, par exemple, que Marc Allégret (juché sur sa moto) ait abordé la jeune fille dans les rues de Cannes pour lui proposer un rôle dans son Arlésienne d'après Alphonse Daudet. Or Lebon montre que cet indéniable découvreur de talents a certainement dû voir l'actrice durant les cours de théâtre qu'elle prenait à l'époque. Toujours est-il que Giselle Pascal se retrouve face à Raimu en 1941 et qu'elle va vite vivre son rêve puisqu'elle devient une star de l'écran et des planches alors que rien ne la prédisposait à ce métier (elle vient d'un milieu plutôt modeste). Éternelle « jeune femme idéale »« dont le côté naturel et dépourvu d'artifices contrastait avec les étoiles plus sophistiquées ou standardisées popularisées par les studios américains. Une jeune femme accessible, vive et espiègle à laquelle chacun pouvait s'identifier et dont beaucoup de collégiens étaient secrètement épris. », Giselle Pascal fera rêver des générations d'adolescents mais restera, à son grand dam, condamnée à tenir toujours le même genre de rôle pétillant et/ou mélodramatique.

Outre sa carrière cinématographique, Eric Antoine Lebon s'intéresse à sa vie privée et à ses amours qui firent la une des journaux. Après avoir vécu une histoire d'amour avec Claude Dauphin, elle aura une aventure très remarquée avec Gary Cooper avant de se marier avec le comédien Raymond Pellegrin. Mais elle fut surtout, pendant plus de six ans, la compagne de Rainier III de Monaco, manquant de peu de devenir princesse. L'auteur revient en détail sur cet épisode de sa vie qui faillit provoquer des incidents diplomatiques et où la jeune provinciale fut évincée par la famille de Rainier au profit de Grace Kelly. Pas d'amertume pourtant chez Giselle Pascal qui prit toujours les coups du sort avec philosophie et une abnégation assez remarquable.

Giselle Pascal : La princesse sans couronne s'avère être une solide biographie, aussi passionnante que rigoureuse. Avec beaucoup de talent, Eric Antoine Lebon fait revivre une époque révolue et dessine, en filigrane, une réflexion sur la célébrité et son caractère très éphémère. Qu'est-ce que la postérité ? N'est-elle pas injuste ? En tout cas, il est certain que nous ferons désormais attention lorsque nous regarderons un film où Giselle Pascal est créditée.

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