Visage(s) du cinéma italien : 43- Armando Crispino
Plus moche que Frankenstein, tu meurs (1975) d’Armando Crispino avec Aldo Maccione, Jenny Tamburi, Ninetto Davoli, Alvaro Vitali
Si le cinéphile refuse de participer aux tâches domestiques et préfère s’occuper d’élaborer la liste de ses dix films préférés d’Otto Preminger ou de Yasujiro Ozu plutôt que des devoirs de ses enfants, n’allez pourtant pas croire que son existence est une sinécure. La cinéphilie peut aussi être un sport de combat et il arrive que le chemin du pratiquant se trouve semé d’embûches. Prenez Armando Crispino, par exemple. Carrière courte (huit réalisations au compteur) et relativement discrète, il était parvenu néanmoins à séduire les amateurs du genre grâce à un excellent simili-giallo horrifique connu en France sous le nom de Frissons d’horreur (Macchie solari). Notre cinéphile, mis en confiance par cette réussite, n’hésite pas un instant lorsqu’il s’agit de découvrir son film suivant, point final par ailleurs de sa carrière de réalisateur.
Et là, il tombe sur Plus moche que Frankenstein, tu meurs (le titre français s’expliquant par une sortie tardive sur nos écrans hexagonaux, tentant de surfer sur les succès d’Aldo Maccione d’alors, notamment ceux de Philippe Clair : Tais-toi quand tu parles, Plus beau que moi, tu meurs…). En bon puriste, le cinéphile regardera le film en version française et dans une copie VHS absolument épouvantable afin de lui faire dire qu’il y a des jours où, vraiment, il préfèrerait faire la vaisselle ! (à la limite regarder Delphine Seyrig la faire dans Jeanne Dielman, 23 rue du commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman).
Mais revenons à notre Frankenstein. Comme tout bon savant qui se respecte, il espère épouser une belle Américaine et l’invite dans son château. Comble de malchance, la créature monstrueuse qu’il a engendrée interrompt la cérémonie du mariage et se trouve endommagée. Igor, son assistant, est alors chargé de lui trouver un nouveau cerveau qui permettra d’améliorer le modèle. Tout se passe à peu près bien, sinon que la créature se réveille à nouveau en manifestant des instincts sexuels insatiables.
Amis du fantastique, passez votre chemin ! Si le film emprunte quelques éléments à la mythologie de Frankenstein, on ne trouvera rien de cet amour du genre qui fera la réussite d’un pastiche comme Frankenstein Junior de Mel Brooks. Crispino s’inscrit davantage dans la tradition de la redoutable pantalonnade qui fera florès en Italie dans les années 70/80 et annonce les grandes (?) heures de la comédie « sexy » (prévenons néanmoins le cinéphile adepte de belles plantes dénudées qu’il sera très frustré devant cette bande bien pudibonde en dépit de son sujet scabreux. Seule la ravissante Jenny Tamburi – l’inoubliable jeune fille qui séduisait Maurice Ronet dans La Seduzione de Fernando Di Leo- dévoile promptement sa poitrine).
Dès les premières scènes, on retrouve l’impayable Alvaro Vitali et son physique simiesque dans un rôle de curé atteint de fort strabisme et qui, de fait, se montre incapable de viser juste lorsqu’il s’agit de placer l’hostie dans la bouche de ses fidèles. Voilà qui vous donnera un petit aperçu du niveau des gags et ce n’est qu’un début : avant de se réveiller, la créature de Frankenstein lâche de nombreux gaz sonores à faire pâlir de jalousie le Glaude et le Bombé de La Soupe aux choux (Jean Girault, 1981), toutes les femmes du film, en pamoison après être passées dans les bras du nouvel étalon, chantonnent « alléluia » et le cinéaste ne renâclera jamais lorsqu’il s’agira de rire de la lingerie intime d’une prostituée obèse ou des fesses nues d’un vieillard !
On l’aura compris, que ce soit au niveau de l’humour ou de la mise en scène (pardon pour le gros mot), Plus moche que Frankenstein, tu meurs parviendrait presque à nous faire prendre les films de Philippe Clair pour du Tarkovski. La fin montre quand même le savant se coucher à côté de sa créature et pratiquer lui-même une opération consistant à échanger leurs attributs virils. Spirituel, n’est-ce pas ?
Seule petite consolation : grimé derrière un masque particulièrement vilain, Aldo Maccione ne prononce quasiment pas un mot et même s’il entame à un moment donné un tango avec sa dulcinée, il ne nous régalera pas de sa proverbiale démarche de coq constipé. En revanche, on a un peu de peine en voyant Ninetto Davoli, acteur fétiche de Pasolini, embarqué dans cette galère et obligé, dans le rôle d’Igor, de grimacer et d’en faire des caisses pour tenter – en vain- de nous arracher un sourire.
Bref, je ne vous avais pas menti lorsque je vous ai annoncé que je vous présenterai tous les visages du cinéma italien. Celui de la comédie désolante n’est pas le plus reluisant mais il fallait bien y revenir un jour. Avec Plus moche que Frankenstein, tu meurs, on atteint des tréfonds de nullité qu’on ne soupçonnait pas, même après s’être coltiné les sagas mettant en scène les toubibs, les profs, les bidasses et autres infirmières de la comédie « sexy » italienne…