Mateo Falcone (2008) d'Eric Vuillard avec Hugo de Lipowski, Hiam Abbass. Sortie en salles le 26 novembre 2014

 

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Je pourrais me faire taper sur les doigts par Michel Ciment puisque je vais commencer par avouer que je n'ai jamais lu la nouvelle de Prosper Mérimée dont ce film est tiré. Même si je ne suis pas critique de cinéma, l'auguste patron de Positif pourra se demander qui sont ces anonymes blogueurs qui osent parler du septième art sans avoir les références nécessaires. Et je n'ai même pas l'excuse d'être Ministre de la culture ! Bref, comme je suis consciencieux, je suis allé me renseigner sur ladite nouvelle et j'ai pu constater, en lisant la fiche Wikipédia (ce qui n'est pas la panacée en matière de recherche documentaire, j'en conviens aussi !), qu'Eric Vuillard restait relativement fidèle à la trame de ce récit de « mœurs corses ». Cependant, même sans avoir lu Mateo Falcone, je suis en mesure d'affirmer que le film est à Mérimée ce que Honor de la cavalliera de Serra est au Don Quichotte de Cervantès : davantage qu'une adaptation (très) libre, une sorte de variation au sens musical du terme.

 

Pourtant, tous les éléments du récit de Mérimée (le fugueur poursuivi par des soldats, le couple qui laisse son fils seul, la trahison et la terrible punition...) sont bien présents mais en filigrane, comme si les enjeux du film de Vuillard étaient ailleurs. Pour le cinéaste, l'important semble être de filmer un territoire. Il transpose le drame corse de Mérimée dans les Causses et porte une attention incroyable aux paysages. C'est d'ailleurs là que se situe la réussite d'un film qu'il faut absolument découvrir en salles (à mon avis) pour apprécier sa respiration si particulière (personnellement, j'ai été un peu frustré par le petit écran de mon ordinateur). Vuillard prend son temps pour nous offrir des plans d'ensemble somptueux sur de vastes étendues écrasées par le soleil, sur des terres arides où transitent les troupeaux de moutons. L'écrivain cinéaste prend également de temps de filmer les variations de la lumière provoquées par le mouvement des nuages, l'ondulation de la végétation sous les rafales du vent... Cette attention portée aux éléments naturels renvoie le film à une certaine mythologie du western. Les silhouettes (essentiellement masculines) taiseuses qui traversent ce décor pourraient venir d'un film de Sergio Leone ou de Clint Eastwood et Vuillard joue parfois sur les mêmes variations d'échelle des plans (un gros plan abrupt raccordant après un plan d'ensemble).

 

Du western, le cinéaste retient un certain regard désabusé sur la brutalité (voire la bestialité) de l'Homme et propose, de manière souterraine, une réflexion sur la notion de Loi et de code d'honneur (à la justice des hommes, le père substitue ici une espèce de justice ancestrale pour qui l'honneur prévaut sur la Loi et même sur les liens du sang).

 

Le film est intéressant, joliment filmé (je le répète) mais souffre aussi du symptôme d'un certain cinéma d'auteur attiré par un formalisme qui confine parfois à l’asphyxie. Autant la mise en scène de Vuillard force l'admiration, autant il peine à faire naître de la fiction. Pour prendre un exemple précis, le film est quasiment dénué de dialogues et il faut attendre la fin du premier tiers (soit 22 minutes car le film est très court – 65 minutes-) pour entendre prononcer les premiers mots.

Du coup, le spectateur identifie mal les personnages (qui sont-ils ? Pourquoi ce fuyard tente d'échapper au soldat ? Etc.). Sur un sujet assez similaire, j'ai pensé au sublime L'esprit de la ruche de Victor Erice qui parvenait si bien à articuler une forme splendide avec de vrais enjeux narratifs et un arrière-fond mythologique bouleversant.

Dans Mateo Falcone, on admire sans réserve la forme mais elle finit par ne renvoyer qu'à elle-même et à produire une fiction desséchée, sans véritable émotion. Pour prendre un autre exemple, il est évident que Vuillard parvient à filmer les paysages des Causses comme Dumont filme le Nord. Mais là où l'auteur de La vie de Jésus parvient à imposer de véritables personnages (des corps, des visages) dans cet environnement, Vuillard peine à les faire exister autrement que comme des figures théoriques un poil désincarnées.

 

Malgré ces réserves, il convient de souligner que Vuillard possède un authentique regard de cinéaste et que la singularité de son univers rend son film attachant et prometteur. Gageons qu'il s'agit d'un coup d'essai en attendant d'autres œuvres où son formalisme ne sera pas aussi étouffant...

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