L'araignée de la nuit

Le diabolique docteur Z (1966) de Jess Franco avec Estella Blain, Howard Vernon

L'araignée de la nuit

En réalisant Le diabolique docteur Z (également connu sous les titres de Miss Muerte et Dans les griffes du maniaque), Jess Franco semble vouloir renouer avec le succès de L'horrible docteur Orlof. D'ailleurs, le docteur Zimmer déclare dans un congrès de médecins où il n'a pas été convié que les expériences qu'il a menées s'inscrivent dans la lignée de ce célèbre prédécesseur. Il annonce également qu'il est parvenu à localiser dans le cerveau les points précis où naissent le Bien et le Mal et qu'il est en mesure d'influer sur ces points et transformer ainsi un criminel en enfant de chœur et vice-versa.

Rejeté violemment par ses collègues médecins (où l'on retrouve Howard Vernon), le docteur Z succombe à une crise cardiaque. Sa fille va mettre à profit son invention pour se venger et transformer une danseuse de cabaret en redoutable criminelle...

 

Disons-le d'emblée : ce film appartient encore à la période « narrative » de Franco et sa faiblesse tient surtout à un scénario assez bancal, qui manque un peu de vigueur malgré la touche « surréaliste » et amusante qu'apportent les dialogues de Jean-Claude Carrière (j'aime beaucoup les premiers mots du film lorsque retentit la sonnerie d'un téléphone : « C'est Bresson... Un condamné à mort s'est échappé... »). Mais on sent très vite que le récit importe peu au cinéaste et que celui-ci commence à développer les motifs qui constitueront le cœur de ses grandes œuvres « abstraites » (Venus in furs, La comtesse noire...) de la période 68/75.

 

La créature que créée la fille du docteur Z (la fameuse « miss muerte ») apparaît déjà comme un succube, un vampire capable d'apparaître et de disparaître aux yeux de ses futures victimes comme un fantasme. C'est particulièrement frappant lors du deuxième meurtre, une très belle filature où le cinéaste joue de manière très habile sur les cadrages expressionnistes et la désorientation spatiale. Il inverse les rôles (c'est l'homme qui est menacé par la femme qui le suit) et fait apparaître sa créature à chaque coin des rues désertes qu'il arpente.

On sent déjà chez Franco une propension à laisser de côté le récit pour se laisser porter par ce que Stéphane du Mesnildot nomme très justement « l'énergie du fantasme ». Chaque apparition de « miss muerte » est nimbée de fantastique (la très belle rencontre dans le train avec Howard Vernon où tout l'environnement disparaît dans l'obscurité) et elle finit par n'être plus qu'une pure présence érotique, une image onirique et fantasmatique.

 

Avant qu'elle ne deviennent la criminelle aux ongles imprégnés de curare, elle est danseuse au cabaret et Franco s'attarde également sur ses numéros. Vêtues d'un costume arachnéen, elle évolue sur une toile d'araignée géante et stylisée qui annonce son rôle de tueuse attrapant ses victimes dans les fils de sa toile. Là encore, ce sont ces instants hors de l'action (ces scènes n'apportent rien en terme d'efficacité narrative) qui font le prix du film, cette manière unique qu'a déjà Franco de mettre entre parenthèses le récit pour se laisser guider par un pur principe de plaisir et de digressions. Ça a souvent été dit mais le cinéaste filme comme un jazzman improvise à partir des mêmes motifs. Et davantage que son scénario, ce sont ces moments « flottants » qui font le prix de ce Diabolique docteur Z à la mise en scène très soignée (Franco retrouve son art du cadrage insolite et des éclairages expressionnistes qui faisaient la beauté de L'horrible docteur Orlof)

On notera également quelques touches humoristiques assez bienvenues, notamment à travers le personnage de policier exténué par ses triplés qui le réveillent toute les nuits (personnage interprété par Franco lui-même), et de beaux moments qui confinent au pur surréalisme (encore une fois, la poésie morbide et érotique des numéros de cabaret).

 

Sans être l’œuvre la plus originale et la plus singulière du cinéaste, Le diabolique docteur Z annonce de fort belle manière la direction onirique et fantasmatique que va prendre par la suite la filmographie de Jess Franco...

Retour à l'accueil