Change pas de main (1975) de Paul Vecchiali avec Myriam Mezières, Hélène Surgère, Jean-Christophe Bouvet, Howard Vernon, Noël Simsolo. (Éditions La traverse/ Éditions de l’œil). Sortie en DVD en mai 2015

Le genre perverti

En 1974, Paul Vecchiali tourne Femmes, femmes, l'un de ses plus beaux films. Si l'oeuvre ne rencontre pas un grand succès, elle suffit néanmoins à asseoir la réputation de ce cinéaste singulier. C'est notamment après avoir vu Femmes, femmes que Pasolini décidera d'engager Hélène Surgère pour jouer dans Salo.

Le cinéaste et producteur Jean-François Davy a également beaucoup aimé le film et lorsqu'il rencontre Vecchiali qui a dû mal à trouver des financements pour ses projets, il lui confie qu'il aimerait l'aider mais que ses moyens ne lui permettent que de produire un porno. Après s'être assuré qu'il aurait quartier libre, Vecchiali va relever le défi et devenir l'un des rares cinéastes « traditionnels » à avoir tourné un véritable film hard.

 

Pourtant, ce qui surprend en découvrant Change pas de main quarante ans après sa réalisation, c'est qu'on n'a jamais le sentiment de regarder « un porno ». Certes, le film contient des scènes de sexe non simulées et il est globalement très cru. Mais c'est avant tout une vraie série noire pervertie. Vecchiali le dit dans un entretien : pour lui, la pornographie n'est pas un « genre » mais bel et bien un ingrédient qui permet la perversion des genres.

Du coup, il parvient nous seulement à intégrer parfaitement les scènes de sexe dans une intrigue traditionnelle et référentielle mais également à les distancier. La plupart du temps, les passages « hard » sont des scènes de « film dans le film » et ce sont ces images qui constituent l'enjeu des chantages entre les personnages. En effet, alors qu'elle s'apprête à obtenir un ministère, madame Bourgeois (Helène Surgère) reçoit des films pornographiques compromettant son fils Alain (Jean-Christophe Bouvet). Elle charge Mélinda (Myriam Mézières), une détective privée, de mener l'enquête.

De manière assez astucieuse, le cinéaste oppose le pornographie mercantile, objet de trafics, celle que représente ces petits films où l'on reconnaît Claudine Beccarie, et une sexualité plus apaisée et hédoniste qui s'exprime dans une belle scène d'amour à trois (soft). Cette opposition culmine lorsque Mélinda est kidnappée et larguée au milieu d'une partouze sur le tournage d'une de ces fameuses bandes pornos. Dans cette scène, le cinéma « traditionnel » côtoie le cinéma X mais sans vraiment se mêler puisque Myriam Mézières ne participera pas aux ébats des « hardeurs ».

Change pas de main n'est donc pas réellement un « porno » mais une œuvre hybride hantée par la pornographie. Paul Vecchiali s'amuse beaucoup avec les codes des genres, réalisant une véritable série noire qui nous entraîne, à l'instar du Grand sommeil de Hawks, dans le sillage d'une détective portant l'imperméable et le feutre. Les cinéphiles reconnaîtront également des clins d’œil à Sternberg (le bar interlope où se déroule essentiellement l'action se nomme Shanghai Lily) et à Marlène Dietrich dont on voit le visage sur l'un des murs du bar. Par son côté baroque (le travail sur la lumière est magnifique) et distancié, Change pas de main fait également songer à certaines œuvres de Fassbinder hantées par le cinéma « classique » mais désireuses de le pervertir, d'en faire sourdre la dimension inconsciente (Sternberg, grand érotomane devant l'éternel, n'aura jamais pu tourner des images aussi crues que celles qu'on voit dans Change pas de main).

 

La distanciation s'effectue également par l'inversion complète des rôles et des codes traditionnels en cours dans le polar. Les femmes tiennent les rôles généralement impartis aux hommes, que ce soit celui du détective mais également du politicien véreux, du tenancier de bar louche ou du maître-chanteur pervers qui se masturbe devant les films pornos qu'il a tournés. Inversement, les hommes jouent les « faire-valoir » : Mélinda et sa compagne ont, chez eux, un « homme de ménage » aussi disponible que les soubrettes des films pornos, Bouvet incarne la figure de l'innocente prise dans les filets d'un trafic odieux et Delahaye est un ancien de l'OAS en fauteuil roulant.

La force du cinéma de Vecchiali, c'est qu'il joue à détourner les codes sans pour autant les mépriser ou faire de l'ironie facile. Il s'agit, là encore, d'expérimenter, de mélanger pour donner une forme hybride à l’œuvre. A ce titre, il réalise un magnifique collage à partir de « chutes » des petits films pornographiques qui donne à Change pas de main une tournure quasi expérimentale.

 

Ce cocktail explosif de genres et de styles (il y a toujours chez Vecchiali ce fond « populaire » venu des années 30) fait que ce Po-Po-Po (Polar-Porno-Politique) demeure un exercice de style toujours recommandable...

 

 

Le genre perverti

Suppléments : Parmi les bonus, outre de nombreux entretiens, on découvrira La cérémonie, un beau court-métrage de 2014 où Vecchiali fait jouer le même rôle et le même texte à un comédien puis, hypothèse 2, à une comédienne. Il réalise ainsi un étrange jeu de miroirs où il interprète lui-même le rôle du père et où les mots prennent une autre signification selon qu'ils sont dits par un homme ou par une femme.

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