Murder Rock (1984) de Lucio Fulci avec Olga Karlatos, Ray Lovelock, Claudio Cassinelli (Editions Artus Films)

© Artus Films

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Il faut parfois faire fi d’une mauvaise impression. Dépasser la déception qui a pu nous étreindre à la première vision d’un film pour le revoir d’un œil neuf. Je me demande si les « gialli » tardifs ne nécessitent pas, plus particulièrement, cette discipline. Dernièrement, j’ai réévalué Trauma de Dario Argento, thriller qui m’avait paru assez convenu en le découvrant et que j’ai trouvé assez riche en le revoyant dans de bonnes conditions.

Murder Rock m’a fait le même effet. Découvert avec une copie discutable (le mot « queue » s’affichant en sous-titre lorsque l’héroïne appelle son petit ami Dick !), j’avais trouvé Lucio Fulci très fatigué et ronronnant, se contentant d’appliquer de vieilles recettes périmées du giallo. Les éditions Artus offrent désormais au film un écrin idéal pour le revoir sereinement. Accompagné d’un livret très complet et instructif écrit par Lionel Grenier, qui parvient à trouver un bon équilibre entre les éléments factuels et une approche plus analytique, Murder Rock est désormais visible dans une très belle copie permettant de dépasser le stade de la première déception.

En effet, il est probable qu’en s’attachant essentiellement à la résolution de l’intrigue (ce que tout spectateur fait de prime abord), on risque d’être déçu dans la mesure où Fulci applique de manière presque scolaire les recettes du « giallo » : tueur ganté, arme blanche (une épingle à chapeau), victimes féminines aux poitrines généreusement dévoilées… Loin des excès sanglants de L’Au-delà, de Frayeurs ou du caractère vraiment crapoteux de L’Éventreur de New York, le metteur en scène filme quelques meurtres assez timides dans le cadre d’une enquête sans grande envergure.

Mais en revoyant l’œuvre et en se détachant finalement de son aspect purement criminel, on découvre des éléments plus intéressants et personnels. Passons néanmoins sur les défauts indélébiles qu’elle recèle. Nous somme au milieu des années 80 et, en situant l’action de son film dans une école de danse, Lucio Fulci tente de surfer sur la vague de succès américains comme Fame (Alan Parker, 1980) ou Flashdance (Adrian Lyne, 1983). Il nous inflige alors une musique d’ascenseur absolument atroce (ça sera aussi le point faible du Miel du diable) et de chorégraphies très datées (avec lumières bleuâtres et projections d’eau), tenant plus de l’aérobic que de la danse.

Malgré tout, ce cadre assez rebutant, Fulci en fait quelque chose d’intéressant. Car à la success story type Flashdance, où le dépassement de soi et le culte du corps permettaient l’ascension sociale (nous sommes au cœur des années fric de l’Amérique de Reagan), il substitue un climat beaucoup plus claustrophobe et mortifère. Dans Murder Rock, ce sont les élèves les plus douées de cette école de danse qui succombent en premier. Pressenties pour être sélectionnées pour un spectacle musical, elles sont assassinées et symbolisent en quelque sorte le revers de la médaille d’un univers impitoyable. Et c’est dans sa manière de nous présenter cet univers que Fulci nous intéresse. En effet, on peut déceler dans son récit une sorte de relecture de son chef-d’œuvre Le Venin de la peur. Mais une version beaucoup moins baroque et colorée qui plonge dans la psyché féminine de Candice (Olga Karlatos), directrice de l’école qui aide l’inspecteur à faire la lumière sur ces crimes non élucidés. Dans une très belle scène onirique, Candice voit un homme mystérieux, acteur pour des publicités, en train de la poursuivre et de tenter de l’abattre avec la fameuse épingle à chapeau. Là où Le Venin de la peur jouait avec des couleurs flamboyantes et des oppositions marquées (le rouge et le noir), un érotisme brûlant et des cadres insolites, cette scène de Murder Rock se révèle très épurée, baignant dans des teintes blanches (éléments de décors, lumières…) et des lignes géométriques très marquées. Lignes géométriques que l’on retrouvera dans la scène où Candice retrouve l’homme de son rêve venu lui rapporter son sac à main. Fulci joue alors sur la profondeur de champ et noie son héroïne dans un décor qui la fait quasiment disparaître, donnant à cette scène réelle une tonalité presque fantasmée (l’insert sur le sac qui nous rapproche brusquement d’un personnage qu’on n’avait pas vu arriver).

Ces moments du film, plus « mentaux », détonnent avec la tonalité générale du récit où Fulci enferme ses personnages dans des lieux clos. Comme le souligne très pertinemment Lionel Grenier, le décor de l’école de danse est filmé de manière radicalement opposée à celle de Dario Argento dans Suspiria. En effet, Argento en faisait un lieu labyrinthique, recelant de nombreux mystères derrière la moindre tenture. A cet espace « ouvert », Fulci substitue un lieu clos, où le moindre recoin est surveillé par des caméras de surveillance. A cela s’ajoutent de nombreux plans composés avec des miroirs qui délimitent davantage l’espace qu’ils ne l’ouvrent. Ces miroirs traduisent aussi bien le côté factice de l’univers décrit (tout cela n’est qu’une « image », un reflet…) mais aussi la dualité de nombreux personnages : George, le mannequin et peut-être assassin, Candice et son passé mystérieux, Dick et sa présence toujours suspecte sur les lieux du crime et d’autres possibles coupables… Alors qu’une première vision du film peut laisser l’image d’un film à la mise en scène un peu ingrate, tout juste digne d’un téléfilm policier de deuxième partie de soirée, on constate en le revoyant qu’elle est beaucoup plus élaborée et réfléchie que ça.

Aussi sombre que celle de L’Éventreur de New York mais moins « crasseuse », cette mise en scène nous plonge dans l’envers du décor américain et de ses rêves de strass et de paillettes. S’appuyant sur des motifs hitchcockiens (le meurtre dans la douche, la petite fille clouée à son fauteuil roulant qui prend en photo l’assassin sans parvenir à capturer son visage, comme James Stewart dans Fenêtre sur cour…), Fulci les épure (l’intrigue est presque plus intéressante lorsqu’on en connaît les tenants et aboutissants) pour proposer un regard assez désabusé sur une Amérique obsédée par la réussite et la gloire.

Il ne s’agit évidemment pas de crier au chef-d’œuvre (on est quand même loin du Venin de la peur ou de L’Au-delà) mais ce film mal-aimé de Lucio Fulci mérite assurément d’être redécouvert car il vaut finalement beaucoup mieux que sa détestable réputation.

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