Le Continent des hommes poissons (1979) de Sergio Martino avec Barbara Bach, Claudio Cassinelli, Richard Johnson, Joseph Cotten (Éditions Artus Films)

© Artus Films

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Solide artisan capable de s’adapter à son époque et de se fondre dans le moule des filons fructueux du moment, Sergio Martino a tâté tous les genres avec une fortune diverse. Il débute par des « mondos » à la toute fin des années 60 (Tous les vices du monde, L’Amérique à nu), passe par la case western (Arizona se déchaîne) avant d’aborder des registres aussi divers que le polar musclé (Rue de la violence), la comédie sexy (Mademoiselle cuisses longues), le film d’attaques animales dans la lignée du succès des Dents de la mer (Le Grand Alligator), le film post-apocalyptique (2019 après la chute de New York), la SF mâtinée d’action dans la lignée de Terminator (Atomic Cyborg) ou le cinéma érotique (Femmes de la nuit, Désir meurtrier). Le giallo reste néanmoins le genre où il excelle indiscutablement, de La Queue du scorpion à Torso en passant par sa formidable trilogie du « vice » avec Edwige Fenech : L’Étrange Vice de Mme WardhToutes les couleurs du vice et Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé.

A la fin des années 70, l’exotisme a le vent en poupe et Martino se lance dans le cinéma d’aventures. La Montagne du dieu cannibale (1978) s’inscrit dans ce cadre (expédition périlleuse dans la jungle, semée d’embûches) mais joue aussi la carte de l’horreur avec des scènes gore, des meurtres d’animaux (malheureusement imposés par la production au cinéaste) qui annoncent la vogue des films de cannibales. Le Continent des hommes poissons semble tout d’abord s’inscrire dans le même sillage avec les passagers d’un radeau à la dérive, visages écorchés et lèvres gercées par le sel, qui finissent par échouer sur une île mystérieuse.

Mais très vite, on réalise que Martino a mis un frein aux excès de son film précédent et ce qu’il perd en séquences déviantes (celle où Ursula Andress voit sa raison vaciller après avoir ingéré de la viande humaine et assiste à une improbable orgie cannibale), il le gagne en classicisme et en maîtrise du récit. Solidement charpenté, Le Continent des hommes poissons retrouve le charme désuet des films d’aventures des années 50, avec une pincée d’éléments venus du cinéma de science-fiction (savant mégalomane, créatures mutantes nées d’expérimentations contre-nature…).

Arrivés sur l’île, le commandant Claude de Ross (Claudio Cassinelli, un visage familier du cinéma populaire italien qui jouait déjà dans La Montagne du dieu cannibale) et ses compagnons font la connaissance d’un homme ombrageux, Edmond Rackham (Richard Johnson, comédien britannique qu’on a pu voir dans La Maison du diable de Robert Wise et dans L’Enfer des zombies de Fulci) et d’une jeune femme qui semble être son épouse, Amanda (le belle Barbara Bach).

Beaucoup de références viennent à l’esprit face à ce film. On songe tout d’abord à Jules Verne (l’action se déroule à la fin du 19ème siècle) et à son Île mystérieuse. Rackham et sa quête de l’Atlantide font également songer au capitaine Némo. Le nom de ce personnage renvoie à Hergé et aux aventures de Tintin. J’ignore si ces clins d’œil sont volontaires mais on peut y voir des allusions au Trésor de Rackham le rouge et au Temple du soleil.

Rackham semble être également le descendant d’une longue lignée de mégalomanes nietzschéens vivant en despotes absolus sur leur île, entouré d’esclaves indigènes. On songe à la fois au comte Zaroff par sa manière d’être le seul maître à bord et de dicter les lois que lui seul a promulguées mais aussi au docteur Moreau vivant sur son île avec ses créatures mutantes.

Les « hommes poissons » du titre renvoie évidemment à un classique du cinéma de SF des années 50 : L’Étrange Créature du lac noir de Jack Arnold. Ils impriment au film sa dimension fantastique, en attaquant dans un premier temps les naufragés qui s’approchent des plans d’eau et en défendant la seule personne qui semble pouvoir les maîtriser : Amanda. Le film ne joue d’ailleurs pas trop sur la dimension « érotique » que l’on retrouve souvent dans ces œuvres confrontant la belle aux bêtes. Martino se montre étonnamment sage, que ce soit dans ce domaine ou dans celui de la violence où les attaques sont très édulcorées (l’amateur devra se contenter de quelques traces de griffures).

Cette sagesse détonne au milieu des excès inouïs du cinéma populaire italien des années 70/80. Elle confère un certain charme désuet à cette bande dont la naïveté fait parfois sourire : les créatures amphibies ne sont pas franchement effrayantes et s’avèrent plutôt kitsch.

Mais dans l’ensemble, on suit avec plaisir ce récit qui ne réserve pas de grandes surprises mais dont les articulations fonctionnent plutôt bien. A la surprise de voir que Rackham épargne d’abord son prisonnier suit une explication plausible : il a besoin de lui (de Ross est médecin) pour maintenir en vie le professeur Marvin qui a créé l’espèce mutante amphibie. Dans le rôle du vieux savant, on reconnaît Joseph Cotten (qu’on ne présente plus !) et les motivations qu’il avance pour ses expériences sont finalement toujours d’actualité (la surpopulation terrestre qui nécessite de trouver d’autres espaces habitables).

Le Continent des hommes poissons n’est évidemment pas le chef-d’œuvre de Martino mais son classicisme en fait la principale qualité. Soignant sa mise en scène (de beaux plans d’ensemble qui ne se réduisent pas à des cartes postales exotiques et qui aèrent l’action) et menant son récit avec efficacité, le cinéaste parvient à renouer avec la tradition de la (bonne) série B d’aventures et nous tient en haleine, sans temps morts, pendant 1h40.

NB : Artus nous propose une splendide copie du film, de nombreux bonus (entretien avec Martino) et, surtout, un délicieux livret signé par l’indispensable Christophe Bier qui commente à la fois le film et nous propose un panorama aussi érudit que drôle des créatures aquatiques au cinéma.

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