Y aura-t-il de la neige à Noël ? (1996) de Sandrine Veysset avec Dominique Reymond, Daniel Duval. (Editions Carlotta Films). Sortie en DVD et BR le 2 décembre 2015.

Tombe la neige

Je vais vous parler d'un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. Après la décennie des années 80 qui vit triompher à la fois l'esthétique de la pub et du clip avec des nouveaux cinéastes comme Luc Besson, Jean-Jacques Beineix ou, beaucoup plus doué, Leos Carax,  mais également le retour d'une certaine tendance « rétro » (Tavernier, Malle...) ; les années 90 furent marquées par un renouveau du cinéma réaliste voire naturaliste dans la veine d'un Maurice Pialat. Le coup d'envoi fut marqué par le triomphe d'Un monde sans pitié de Rochant mais c'est peut-être avec Les Nuit fauves de Cyril Collard (ancien assistant de Pialat, d'ailleurs) que cette nouvelle donne se fit sentir avec le plus de force.

On l'a sans doute oublié aujourd'hui mais, à l'époque, tout le monde parlait d'une nouvelle Nouvelle Vague et Claude-Marie Trémois, la dame patronnesse de Télérama, consacra même un livre à ces jeunes cinéastes (Les enfants de la liberté).

25 ans plus tard, que reste-t-il ? Quelques cinéastes qui sont parvenus à bâtir tant bien que mal une œuvre personnelle, d'ailleurs assez éloignée du naturalisme : Desplechin, Ferran et Lvovsky. D'autres qui tournent encore mais qui n'ont pas confirmé leurs débuts prometteurs : Xavier Beauvois qui, après Nord et N'oublie pas que tu vas mourir, fait d'insipides téléfilms comme Le Petit lieutenant ; Cédric Kahn qui, après les très beaux Trop de bonheur et L'ennui, se plante lamentablement avec L'Avion.

Mais pour la plupart de cette génération, même si certains ont continué à faire des films, c'est le retour à l'anonymat le plus complet. Que sont devenus Michel Spinosa (Emmène-moi), Agnès Merlet (Le fils du requin), Erick Zonca (La vie rêvée des anges), Laurence Ferreira-Barbosa (Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel), Marion Vernoux (Pierre qui roule), Emmanuelle Cuau (Circuit Carole), Yolande Zauberman (Moi Ivan, toi Abraham) ou le talentueux Jacques Maillot (Corps inflammables) ?

Le nom de Sandrine Veysset peut assurément être ajouté à la liste. On peut le regretter dans la mesure où Y aura-t-il de la neige à Noël ? est l'un des plus beaux premiers films de cette époque. Mais après ce coup d'éclat qui lui vaudra le prix Delluc et un César du meilleur premier film, la réalisatrice signera une deuxième œuvre qui n'obtiendra aucun succès (Victor...pendant qu'il est trop tard), récidivera avec Martha...Martha en 2001 (autre film bien oublié) et n'a signé depuis que quelques courts-métrages.

Pourtant, redécouvrir 20 ans après sa sortie ce premier film est un vrai plaisir tant on sent l'assurance tranquille qu'a la cinéaste pour décrire un quotidien plutôt rude. Y aura-t-il de la neige à Noël ? s'inscrit d'emblée dans ce courant naturaliste dont nous parlions plus haut : une mère de famille se tue à la tâche dans une exploitation agricole et se dévoue corps et âme pour ses sept enfants. Le père (Daniel Duval) est souvent absent et mêne une double-vie. C'est lui qui règne en patriarche sur l'exploitation...

Rythmé par les saisons, le film débute comme une chronique intimiste à hauteur d'enfants. Entre les jeux qu'ils inventent et les travaux qu'ils doivent effectuer pour leur père, ils impulsent au récit son rythme très particulier. Sandrine Veysset parvient à dépasser le cadre étriqué du naturalisme par un sens aigu du cadre et une attention chaleureuse à des micros-événements auxquels elle parvient toujours à donner beaucoup de relief grâce à la mise en scène. A l'instar de Pialat, elle évite la platitude par un sens de l'observation très aiguisé.

A mesure qu'on avance dans les saisons, les enjeux dramatiques se précisent : le père montre son vrai visage de tyran domestique qui ne donne même pas à sa famille l'occasion de se chauffer décemment et qui les abandonne constamment. Ce personnage est peut-être le seul petit point faible du film : salaud intégral, Sandrine Veysset ne lui donne même pas une chance d'être sauvé. Elle ne prend pas non plus la peine de nous donner une explication de la situation (comment a-t-il pu faire sept gosses à une femme tout en étant marié et déjà père de famille?). Mais l'intelligence de la cinéaste, c'est de parvenir à contourner cette caricature grossière en emmenant son récit du côté du conte.

Finalement, ce père abject (joué de manière admirable par le grand Daniel Duval) devient une sorte de figure de l'ogre des contes. La menace qu'il représente finit par n'être plus « réaliste » mais presque mythique, un peu à la manière du « Mal » incarné par le prêcheur persécutant les deux enfants dans La Nuit du chasseur.

Plus le film s'avance dans l'hiver et plus sa teneur se rapproche d'un conte comme Le Petit Poucet. Autour de cette mère poule admirable se retrouvent tous les petits pour un Réveillon que nous ne commenterons pas mais qui distille une émotion qui n'a rien de factice. Après avoir pris soin de ne pas inscrire son film dans une temporalité précise (a priori, il se situe à la fin des années 70 ou au début des années 80 mais il pourrait très bien bien se dérouler en 96), Veysset parvient à le rendre totalement intemporel lorsque arrivent les dernières séquences.

Et je ne pensais sincèrement pas qu'une chanson d'Adamo pourrait autant nouer les tripes lorsque arrive un dénouement d'une beauté inouïe !

Si la cinéaste n'a pas tenu les promesses annoncées (mais rien n'est perdu et on espère bien avoir prochainement de ses nouvelles), que cela ne vous empêche pas de découvrir cette première œuvre bouleversante et tout à fait singulière...

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