Insomnia (2002) de Christopher Nolan avec Al Pacino, Robin Williams, Hilary Swank, Martin Donovan

Le Prestige (2006) de Christopher Nolan avec Hugh Jackman, Christian Bale, Scarlett Johansson, Michael Caine, David Bowie

Sur deux films de Nolan

Quelques mots sur deux films de Christopher Nolan, cinéaste que j’ai longtemps négligé (sans le vouloir vraiment d’ailleurs) et que je cherche à découvrir pour une « mise à jour ». Nolan me semble être un cinéaste capable de réconcilier le « grand public » (même si j’ignore toujours ce que peux bien signifier cette expression) lorsqu’il réalise des «blockbusters » (sa trilogie Batman, Interstellar) et les cinéphiles par ses thématiques récurrentes. Pourtant, il y a chez ces derniers quelques réticences (pas forcément infondées, d’ailleurs) face à un réalisateur au surmoi auteuriste parfois ostentatoire aux récits un brin alambiqués (l’exemple d’Inception est assez probant : le film est à la fois brillant mais un peu décevant en regard des potentialités de son scénario).

Ce côté parfois trop « sérieux », un tantinet volontariste, on le retrouve dans Insomnia, thriller brillant où Al Pacino interprète un flic qui se rend en Alaska pour enquêter sur la mort d’une jeune fille. Le film joue d’abord sur deux tableaux : d’une part, une enquête classique pour retrouver le meurtrier. D’autre part, un accident qui va permettre au cinéaste de redistribuer toutes les cartes du récit. En effet, alors qu’une enquête est menée sur ses méthodes parfois douteuses, l’inspecteur Will Dormer tue accidentellement son collègue qui s’apprêtait à « collaborer » avec les autorités. Peu de temps après, Dormer est contacté par le tueur qui lui apprend qu’il l’a vu abattre son partenaire et lui propose un marché…

Remake d’un film norvégien sorti en 1997, Insomnia séduit par l’ambiguïté fondamentale du geste de l’inspecteur. Si l’accident semble avéré puisque le drame a eu lieu au cœur de la brume, il tombe à pic pour dissimuler les actes passés de Dormer. Comme dans Le Prestige, le film se déploie autour d’un accident malencontreux qui peut être interprété de façon contradictoire (réel accident ou meurtre ?). Quand le tueur rencontre l’inspecteur et qu’il lui raconte la manière dont les faits se sont passés, il essaie lui aussi de faire passer un coup de sang et de folie pour un accident. Toute l’intelligence d’Insomnia repose sur cette zone de flou qui caractérise la nature humaine et qui sépare assez arbitrairement la raison de la folie, le Bien du Mal, l’accident du crime prémédité…

Finalement, le tueur de jeune fille et le flic intègre représentent les deux faces d’un même visage et finissent par être liés par un pacte assez retors qui permettra au cinéaste de laisser cours à son goût pour les chausse-trappes et la manipulation. Si le film est parfois alourdi par certains passages qui surlignent cette thématique de la « gémellité » refoulée (comment un inspecteur « borderline » pourrait admettre qu’il est de la même nature qu’un criminel « raisonnable » ?), le film fonctionne plutôt bien, notamment grâce à cette atmosphère du grand Nord et ces interminables journées où le soleil ne se couche pas. Cette donnée climatologique donne son titre au film et ces insomnies dont souffre Dormer accentuent le côté ambigu du personnage puisque son épuisement semble le conduire parfois aux limites de la déraison…

Sur deux films de Nolan

Réalisé quatre ans plus tard, Le Prestige repose aussi sur la rivalité entre deux hommes qui se vouent une haine sans commune mesure mais qui sont indéfectiblement liés par un passé commun et par leur profession de magicien. Le film n’aurait pu être qu’un simple exercice de style puisque sa narration extrêmement alambiquée repose sur une succession de manipulations et de rebondissements improbables (nous n’en dirons pas plus).

Mais, d’une part, ce brio dans la construction de l’intrigue permet de tenir en haleine le spectateur qui n’y voit que du feu (j’avoue que pour la première fois depuis très longtemps, je me suis repassé la première demi-heure du film une fois le DVD terminé pour tenter d’en mieux saisir ses ressorts). D’autre part, Nolan inscrit ces péripéties dans une réflexion plus large sur l’illusion.

Le prestige, dans le vocabulaire des magiciens, c’est l’art de faire réapparaître un élément après l’avoir fait disparaître. C’est aussi l’une des caractéristiques du cinéma de Nolan : dissimuler la « vérité » pour en faire ressurgir une plus étonnante à un moment donné (les différents niveaux de rêves dans Inception en constitueront sans doute la version la plus programmatique). Chez les deux magiciens du récit, c’est un numéro « d’homme transporté » qui provoque l’escalade dans la rivalité, chacun d’entre eux tentant de découvrir les secrets de l’autre. Si Angier (Hugh Jackman) utilise un sosie classique, Borden (Christian Bale) semble recourir à un tour totalement méconnu et embarque son rival du côté de l’Amérique où un homme (David Bowie !) tente d’inventer une machine électrique capable de réaliser ces téléportations. Ce rapport de l’électricité et de l’illusion n’est pas anodin. Le film se déroule au début du 20ème siècle et je vois dans Le Prestige une jolie réflexion sur le pouvoir du cinéma puisque les progrès de la technologie vont aller de pair avec des possibilités infinies de développer cette prestidigitation. Le côté parfois archaïque de la magie traditionnelle (la cruauté envers le pinson qu’on exécute réellement) disparaît ( ?) au profit d’une illusion de plus en plus parfaite, reposant d’ailleurs sur « l’image » (mais je ne peux pas en dire plus pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu)

La beauté du film de Nolan, c’est qu’il a recours à un appareillage technologique assez impressionnant (cette grande machine « magique », sorte de McGuffin du récit) tout en jouant également la carte de tours presque « amateurs » avec pour seul but de célébrer la pérennité de l’art de l’illusion et la beauté de croire en cette magie capable de transfigurer la réalité…

 

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