Molière en abyme

Alceste à bicyclette (2012) de Philippe Le Guay avec Fabrice Luchini, Lambert Wilson

Molière en abyme

Star du petit écran, Gauthier Valence (Lambert Wilson) voudrait monter au théâtre sa propre version du Misanthrope de Molière. Pour cela, il se rend à l’île de Ré afin de convaincre Serge Tanneur (Fabrice Luchini) de remonter sur les planches et de reprendre le métier de comédien qu’il a abandonné depuis de nombreuses années.

Construit essentiellement sur les répétions des deux acteurs et leur confrontation, Alceste à bicyclette souffre paradoxalement des maux qu’il entend dénoncer. A un moment donné, Luchini reproche à Wilson de jouer Molière comme un acteur de soap et il claironne que Molière n’est pas de la télé. Or il se trouve que le film de Philippe Le Guay représente parfaitement l’archétype du « ventre mou » de ce cinéma français sans style et sans grâce. Rien ne distingue la mise en scène d’Alceste à bicyclette et ses enfilades de plans moyens pas toujours bien raccordés d’un quelconque téléfilm.

De la même manière, Lambert Wilson s’emporte contre la manière scolaire qu’a Luchini de le diriger. Or le film est, lui-même, assez scolaire dans sa manière de transposer la pièce de Molière et de « l’actualiser » à travers la relation conflictuelle entre les deux comédiens. Tout comme sont assez scolaires les oppositions schématiques que le film met en jeu : l’opposition culture classique (Molière, Luchini se délectant en récitant des alexandrins…) / culture populaire (le pastiche assez drôle des feuilletons pour mémères) ; l’opposition entre le jeu d’acteur « noble » et la version dégradée du métier (la jeune fille qui tourne dans des films pornos), etc.  

Si les défauts que je viens de pointer empêchent d’adhérer au film, il faut aussi reconnaître qu’il n’est pas non plus désagréable. D’abord grâce au duo vedette qui semble prendre beaucoup de plaisir à s’approprier les mots de Molière. Ensuite parce que cette adaptation/transposition du Misanthrope permet à Le Guay de terminer sur une note cruelle assez inédite dans ce type de film manufacturé pour un passage en prime-time. Non seulement Molière permet au cinéaste de railler la superficialité du milieu du cinéma, son hypocrisie, son ignominie ; mais il lui permet également de renvoyer ses acteurs à leur solitude dans le temps d'un finale pessimiste.

Cette petite touche de noirceur met un tout petit peu de piment dans une œuvre pas antipathique mais assez conventionnelle et anonyme d’un point de vue stylistique. 

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