Lire 76-100 (2013-2015) de Gérard Courant (Éditions de L’Harmattan)

Des livres et des hommes

J’ignore si je suis le seul dans ce cas mais lorsque je lis un roman ou un essai, j’imagine la voix de l’auteur comme s’il s’adressait directement à moi. Par le style et le ton naît dans l’esprit du lecteur un timbre particulier lié à la musique de l’écriture. Une des grandes qualités de la série Lire, c’est que Gérard Courant nous permet de mettre une voix réelle sur un nom et un visage.

J’ai déjà évoqué ici cette œuvre sérielle mais rappelons en quelques mots son principe : un gros plan fixe sur le visage d’un écrivain en train de lire les premières pages de son dernier ouvrage paru. Pour le dire en d’autres termes : il s’agit du Cinématon avec du son et la contrainte de la lecture. Du coup, ce que Courant perd en « cinéma » (le visage n’est plus l’objet exclusif du film et les « modèles » ne peuvent guère se livrer à des fantaisies), il le gagne du côté de la parole et de la langue. Et les deux séries se rejoignent dans une volonté commune de dresser un panorama de la vie culturelle française depuis la fin du 20ème siècle.

Alors que Cinématon est un monumental projet à la Warhol, Lire s’inscrit davantage dans la lignée de Ceux de chez nous de Sacha Guitry et cherche à conserver une trace des écrivains contemporains. On débute ici avec deux lectures du sulfureux Gabriel Matzneff puis l’on retrouve quelques complices de longue date de Gérard Courant : l’indispensable Jean-Pierre Bouyxou, Noël Godin qui déclame avec fougue les citations les plus enragées de sa géniale Anthologie de la subversion carabinée, Alain Paucard…

Des livres et des hommes

A travers ces 25 « lectures » se dessinent la diversité de la série puisqu’on passe d’un romancier (l’hilarant début du Bocage à la nage de l’excellent Olivier Maulin) à un essai sur le cinéma (Alfred Eibel sur Fritz Lang), d’un essai littéraire à une pièce de théâtre (Bouyxou) ou de la poésie (Jean Berteault qui lit le début de son beau recueil La Belle endormie). De la même manière, les façons de lire diffèrent du tout au tout : Matzneff bute sur une phrase et étouffe un fou-rire, Philippe D’Hugues ne se départit pas d’une certaine austérité tandis qu’Anca Visdei se transforme presque en actrice pour nous plonger avec beaucoup de talent dans son Exil d’Alexandre.

Mais, comme je le disais au début de cette chronique, l’intérêt est également de mettre un visage et une voix sur des mots écrits et publiés. De voir également comment certains auteurs parviennent à se réapproprier leurs propres textes (car écrire et lire ne sont pas la même chose) pour nous donner envie de les lire, je pense par exemple à Editez-moi ou je vous tue de Paul Desalmand qui a l’air très drôle et passionnant.

Certaines voix sont en parfaite adéquation avec les mots lus : la gouaille parigote de Claude Dubois lorsqu’il lit sa Bastoche : une histoire du Paris populaire et criminel ou la fougue de la belle Solange Bied-Charreton qui lit son Nous sommes jeunes et fiers.  D’autres semblent moins à l’aise ou plus hésitantes, comme si leurs phrases ne passaient pas l’épreuve de la lecture à haute voix.

Riche d’une centaine de films, la série Lire est, là encore, un précieux document sur la vie littéraire française et une des parties les plus originales des inestimables archives de Gérard Courant.

Des livres et des hommes
Retour à l'accueil