Le Soldat Laforêt (1970) de Guy Cavagnac avec Roger Van Hool, Catherine Rouvel, Fernand Sardou. (Éditions Carlotta films). Sortie en DVD le 7 septembre 2016

Eloge de la désertion

Pour bien saisir la teneur de cet étrange film, unique long-métrage de Guy Cavagnac qui se tournera ensuite vers la production (certains films de Paul Vecchiali, Jacques Davila ou Chantal Akerman), il faut décrire une des scènes du début. Nous sommes en 1940 et le soldat Laforêt perd son régiment. Il cherche à le rejoindre et emprunte une barque pour aller plus vite. Mais au bout d’un moment, il renonce à cette course et se laisse dériver au fil de l’eau. Il y a un peu du Jacques Rozier de Rentrée des classes dans ce film vagabond : une trame mince comme une feuille de papier et un goût pour les chemins de traverse et le cinéma buissonnier.

Il y a du Renoir dans Le Soldat Laforêt. D’une part parce que Cavagnac a été son assistant et qu’il fait tourner ici la magnifique Catherine Rouvel. D’autre part parce qu’il rend un hommage explicite, en forme de clin d’œil, au Déjeuner sur l’herbe (à la fois le film mais également la toile de Manet) le temps d’une jolie scène. Mais plus profondément, le film est imprégné de l’esprit humaniste de Renoir, de sa manière de se détacher du scénario pour privilégier les temps morts, les rencontres humaines, une certaine liberté. On songe également, comme souligné plus haut, à Jacques Rozier et à son cinéma buissonnier.

Le Soldat Laforêt avance au rythme nonchalant des rencontres que fait son héros désinvolte. Si le film est vendu comme une « fable antimilitariste », il s’agit davantage d’une œuvre faisant l’éloge de la désertion généralisée. Certes, le film se situe pendant la seconde guerre mondiale et débute par un chant anti-bidasses. Mais très vite, on réalise que ce contexte « historique » n’intéresse pas le moins du monde le cinéaste (les vêtements ne paraissent d’ailleurs pas d’époque) et que sa fable est davantage ancrée dans cette époque post-soixante-huitarde de remise en question des modes de vie traditionnels.

Chaque rencontre est marquée par un sous-texte renvoyant à des thématiques libertaires très en vogue à l’époque. La liaison qu’il entame avec la belle Catherine Rouvel se révèle vite être un trio amoureux qui permet une tentative de réinventer les rapports amoureux, au-delà de la possession et de la jalousie. Par la suite, Laforêt expérimentera même la vie communautaire avec un homme ne cessant de vanter la vie au grand air et la saine paresse ! Tout est de cet ordre dans le film : le couplet qui oppose la folie des grandes villes à l’authenticité de la vie à la campagne est bien évidemment beaucoup plus révélateur des années 70 (avec ses grands ensembles) que des années 40 et de ces temps de pénurie. Le temps d’une scène assez drôle, Laforêt se voit même offrir une cigarette agrémentée de diverses herbes euphorisantes. Là encore, on devine que cet éloge de la fumette est contemporain du tournage du film davantage que de l’époque de l’Occupation !

Tourné dans l’Aveyron, ce film « régionaliste » est marqué par un désir de voir ailleurs, de s’éloigner d’une certaine idée de la civilisation pour réinventer des rapports humains plus authentiques. Son idée principale : déserter –à tous les sens du termes- les chemins tout tracés, les rôles figés, le joug des conventions pour suivre une route plus chaotique, plus utopique et plus nonchalante. La mise en scène épouse la désinvolture de cette trajectoire en privilégiant les rencontres humaines davantage que les « événements », les temps morts plutôt que la charpente d’un récit balisé… A ce titre, Le Soldat Laforêt regorge de moments très réussis, comme cette complicité ludique et amoureuse entre le déserteur et la belle jeune femme qu’il vient de rencontrer avant de se réfugier avec elle dans une demeure abandonnée.

En découvrant ce premier film foutraque, joyeusement utopique et prometteur, on peut regretter que Guy Cavagnac n’ait pas persisté dans la réalisation…

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